L’un des premiers résultats de la contestation populaire du 22 février est d’avoir mis à nu le système politique algérien dans lequel il y a désormais deux acteurs politique visibles qui se font face : le peuple qui occupe la rue chaque vendredi et l’état-major qui espère une baisse de la mobilisation pour reprendre l’initiative.
Engagés dans un rapport de force sans concessions, ces deux acteurs cherchent à influer sur le cours des événements pour atteindre leurs objectifs respectifs divergents. Le peuple veut enlever à l’état-major l’attribut de la souveraineté nationale qui lui a permis jusqu’à présent de désigner le président à travers des élections truquées et de choisir les députés qui représentent la population.
En s’attribuant une prérogative qui appartient au peuple, l’état-major se comporte comme le Bureau Politique d’un parti stalinien et non comme le commandement militaire d’une armée républicaine. En confiant au DRS la mission de gérer le champ politique, le commandement militaire a coupé l’Etat de ses racines sociales et idéologiques et l’a orienté vers la corruption généralisée.
L’objectif du peuple est de casser ce mécanisme qui empêche les institutions de l’Etat d’être représentatives de la population. Il veut que l’Etat se réarticule à la société et qu’il tienne compte de ses demandes. Le peuple veut le transfert de la légitimité militaire, héritée des vicissitudes de l’histoire, à la légitimité populaire véhiculée par l’alternance électorale.
Face à la revendication exprimée par des millions d’Algériens depuis le 22 février, l’état-major a donné l’impression d’avoir entendu le peuple, et a congédié le cadre à la chaise roulante qui faisait fonction de chef d’Etat. Le général Gaid Salah a même affirmé son attachement à l’article 7 de la constitution stipulant que le peuple est la seule source du pouvoir.
Les révolutionnaires du 22 février avaient le sourire en croyant que la fibre nationaliste et l’amour de la patrie avaient enfin pénétré les bureaux du ministère de la défense. Mais la désignation le 9 avril de Bensalah comme président intérimaire, sur instruction de l’état-major à ses marionnettes du FLN et du RND, a montré quelles étaient les véritables intentions de la hiérarchie militaire.
Avec le recul, la stratégie de l’état-major devient plus claire ; elle cherche à remplacer les anciennes marionnettes discréditées et démonétisées par des marionnettes qui n’ont jamais servi. Ce qui signifie que le général Gaid Salah a menti, et qu’il a confié à Bensalah la mission de mener une transition avec un nouveau personnel coopté à travers des élections truquées.
Ceci n’est pas un procès d’intention puisque le président par intérim n’avait pas de légitimité en tant que président du Conseil de la nation. En tant que sénateur, il n’était pas représentatif de la circonscription où il habite. Par conséquent, la transition ne peut être menée par le personnel discrédité et illégitime de l’ère Bouteflika. Le peuple parle de la légitimité et l’état-major parle de la légalité. Mais quelle est la source de la légalité si ce n’est pas la légitimité populaire ?
C’était cependant naïf de croire que les généraux allaient accepter une transition réelle vers l’Etat de droit qui signifie la séparation des pouvoirs et la liberté de la presse. Non pas qu’ils soient opposés à l’Etat de droit pour des raisons idéologiques. La réalité est qu’ils ont peur que le nouveau régime leur demande des comptes sur les violations de droits de l’homme et sur la corruption.
Ils comptent sur une décrue de la mobilisation pour faire sortir les chars à Alger. Les généraux jouent avec le feu car ni l’Etat et encore moins l’armée ne leur appartient. Ils font face à un problème politique qui demande une réponse politique. Et les Algériens sont décidés à entrer en possession de ce qui leur appartient : l’Etat et l’armée.
Les généraux répondent par la ruse en attendant d’utiliser la force. En pleine tempête révolutionnaire, comme tout régime sur le point de s’effondrer, ils se réfugient derrière « leur » constitution. Mais les Algériens savent, par expérience, que la constitution a toujours été invoquée pour réprimer leurs revendications légitimes.
La constitution algérienne a été conçue pour protéger le pouvoir exécutif et non le peuple ; c’est un texte qui donne une base juridique à l’autoritarisme du pouvoir exécutif et qui lui permet d’emprisonner les syndicalistes et de poursuivre devant les tribunaux les défenseurs des droits de l’homme.
En invoquant la légalité constitutionnelle pour remplacer Bouteflika par Bensalah, l’état-major se coupe de la nation et prend la direction de la contre-révolution. Les généraux devraient demander à Vaujour et à Massu ce qui se passe quand un peuple entre dans une phase révolutionnaire.
Lahouari Addi est universitaire