En fait, la scolarité des jeunes serait parfaite si le système éducatif l’était. Je crois que mis à part les éléments basiques du calcul, un élève devrait être soumis à un cursus plus en harmonie avec ses aptitudes réelles et ses gouts personnels au lieu de le torturer avec les équations et autres élucubrations comme si l’avenir ne peut sourire qu’à ceux qui sont bons en maths.
La dictature des mathématiques avec les coefficients élevés que le système leur accorde a détruit plein de rêves et anéanti beaucoup de carrières. A cause d’une compréhension absconse et antinaturelle des aptitudes de l’élève, on a toujours assimilé l’excellence et le génie à la compétence scientifique, surtout mathématique. Comme si un entomologiste ne pouvait pas être un génie, ni un musicien, ni un anthropologue, ni un homme de lettres, ni un philosophe.
L’uniformisation à outrance des procédés éducatifs devrait cesser à la fin du cycle primaire. S’obstiner à enseigner la géométrie dans l’espace à un gamin qui ne rêve que d’apprendre ses gammes et pianoter sur le clavier d’un synthétiseur reviendrait à forcer un éléphant à apprendre à grimper sur un arbre.
Imposer des cours désuets de littérature à un jeune qui ne s’épanouit pleinement que par la manipulation de la matière concrète est un crime contre l’éducation. C’est pour cela que l’école produit rarement des génies. Elle ne peut produire dans le meilleur des cas, avec ses structures et sa vision archaïques que de bons élèves capables de résoudre un problème compliqué mais incapables d’en créer.
Or le génie est précisément l’invention, le dépassement du mouvement linéaire immuable et la création d’une situation problématique là où le monde ne voyait qu’ordre et maitrise. Le génie n’est pas un artisan, c’est un révolutionnaire, un visionnaire qui n’est pas formé par l’exercice mais par le dépassement de l’exercice vers la réflexion.
Le vrai génie ne réside pas dans l’application des règles mais dans le dépassement de ces règles et des vérités provisoires qui les sous-tendent. C’est le génie qui fait bouger le monde. Le technocrate, le plus habile des professionnels ne font qu’assurer la continuité du mouvement sans avoir le pouvoir de le transcender ni de l’améliorer.
On ne peut pas être génial en tout, mais l’école refuse de l’admettre. Elle condamne des élèves de tempéraments différents, ayant eu des parcours différents, issus de milieux différents, dotés de capacités différentes à rentrer dans un moule unique comme s’il leur suffisait d’avoir la même taille et le même aspect pour être des clones parfaits. Et pour se dédouaner, elle invoque le changement du coefficient après l’orientation.
Mais même ce procédé est un leurre inefficace. En dépit de la faiblesse du coefficient, l’élève devra subir le même échec une année après l’autre à cause des mauvaises notes qu’il a dans des matières qu’il ne maitrise pas et qu’il n’a pas choisies, qui lui rappellent constamment qu’il est mauvais et qu’il ne pourra jamais prétendre à l’excellence.
L’école dite moderne de l’ère de l’uniformisation est à mille lieues d’une vérité pourtant vieille et simple selon laquelle éduquer consiste à faire « des têtes bien faites non des têtes bien pleines ». Montaigne l’avait écrit plusieurs siècles plus tôt. Depuis, nous faisons du sur-place en allant à l’encontre de la nature, du bon sens et de l’essence de l’éducation.
A la question factice et sectaire de promouvoir l’enseignement des humanités ou des sciences, je répondrais qu’il faut plutôt promouvoir la réflexion, la pensée, dans quelque domaine que ce soit. Dépasser la standardisation qui découle d’une vision sclérosée de la formation et apprendre à traiter le savoir comme un outil d’action sur le monde non comme une épée d’apparat ou un vecteur de distinction sociale.
L’école, telle qu’elle existe de nos jours, doit se saborder, se détruire pour renaitre de nouveau et produire des êtres qui pensent non des robots qui exécutent des ordres.