Les forces et les faiblesses de la révolution algérienne selon un marcheur assis :
1- Le gaïdisme :
C’est une faiblesse. Gaïd n’est pas un homme politique. De son métier, il a fait métier de gardien et de son statut de gardien, il a fait une mystique et une tactique. D’ailleurs, les hauts officiers algériens sont convaincus de leur rôle de gardiens des frontières et du pays. Contre l’ennemi extérieur, mais aussi contre le «peuple» intérieur.
Convaincus d’être arbitres, ils se veulent de temps en temps joueurs et gardiens. Gaïd appartient à cette génération de vétérans qui croit retrouver un sens du devoir dans l’immobilité et le refus de négocier. Ceux qui croient que l’armée, sous le pouvoir de cet homme, va négocier donc facilement et sous la pression des marches se trompent.
L’armée est propriétaire du pays selon l’armée. Le pays appartient à celui qui l’a libéré, selon cette mystique féodale de la décolonisation. Gaïd veut confondre intelligence et conviction. Il a peur aussi et, du coup, il se montre plus convaincu qu’il ne l’est. Son problème est qu’il a fait la guerre, mais il y a un siècle, et qu’il n’a jamais fait de politique. Il est le beau-père refusé de cette révolution. Il veut se croire le père.
2- Le dégagisme radical :
C’est une position intenable. Elle va obliger les plus démunis au choix entre la démocratie et la sécurité tôt ou tard. Le dégagisme est un risque de chaos. Il a commencé comme passion saine, explosion. Il en devient un calcul, une radicalité sans rationalité. Il va servir, à moyen terme, à la restauration du Régime comme restauration de la sécurité.
3- Le néo-islamisme :
Il est attentiste, prudent, intelligent. Structuré sur les réseaux sociaux, il empêche l’émergence de tout leadership possible. Il fait le vide, il crée le désert d’où viendra la «révélation», la sienne. Un jour, quand personne n’osera se présenter pour parler, il viendra parler, prêcher le salut, la solution. «L’islam est le salut», répétaient les Frères musulmans en Égypte.
Aujourd’hui, la technique n’est pas de le dire mais de créer «les problèmes» pour que la solution s’impose doucement. Le néo-islamisme n’est plus la figure hirsute des années 90, la barbe sale, l’œil fou et le kamis. Non. Ça, c’est l’épouvantail. Le néo-islamiste a muté. Il s’est adapté. Il a tiré leçon des crashs dans les pays voisins, il s’est erdoganisé.
Il sait investir les réseaux, fabriquer des «traîtres idéologiques» pour focaliser ses propagandes, chercher surtout le deal avec l’armée pour gagner des positions et du temps. Dans quelques décennies, on s’en débarrassera de cette armée. Comme Erdogan.
4- Le populisme conservateur :
Produit de l’école, du Régime, des médias, des prêcheurs, etc. Il se présente aujourd’hui comme la culture populaire, «l’identité culturelle», les «valeurs». Du coup, au nom des ancêtres ou de Dieu ou des «Traditions», il ose, insulte, frappe et dérive. Ce populisme focalise sur la Femme : corps du délit, du malaise, de la violence.
5- Le débat identitaire :
C’est l’autre danger : transformer le soulèvement en revendication identitaire régionale. «kabyliser» la révolution. Le Régime adorerait voir s’accentuer cette tendance. Il en profitera pour isoler les manifestants les plus enthousiastes, isoler une région et «culturaliser» le refus populaire.
Faut-il oublier la revendication de vouloir être Algériens ? Non. Mais il faut être plus intelligent que ses propres impatiences et ne pas accentuer les clivages qui vont donner du crédit à la «Religion de l’unité» du Régime. L’Algérie est plurielle, elle n’est pas une région géographique exclusive, ou des régions militaires.
6- L’économie :
Une révolution ne se mange pas. L’économie algérienne a été détruite par le bouteflikisme, ses prédations, son atteinte profonde à la propriété et à la justice. Mais la Révolution, si elle dure trop, va avoir un coût.
On n’en parle pas beaucoup, car la tradition du militantisme en Algérie méprise le débat sur les additions, l’argent et l’économie, mais c’est la bataille d’aujourd’hui. Avec une crise économique, la Révolution profitera à la contre-révolution probablement. Il faut plaider pour le travail, l’effort, libérer l’entreprise.
7- La haine des élites :
Mouvement ancien, tradition, habitude : les élites sont vues comme traîtresses, on leur préfère le populisme. Il existe même une tendance intellectuelle de l’autoflagellation et de la culpabilité chez certains intellectuels qui adorent parler du «peuple».
Ils en font un martyr et un moyen de faire le procès de leurs pairs. C’est un peu un mystère du métier mais aussi une faiblesse du mouvement : le tribunal du peuple se fait précéder par la contrition, sinon par la dénonciation. A la méfiance aveugle, on répond par une culpabilité pathologique.
8- La pluralité :
C’est la force retrouvée de ce pays. Sa paix intérieure possible. Son salut. Son avenir à plusieurs mains. Nous sommes les enfants du parti unique, de l’unanimisme, de l’unité. Nous avons été éduqués à voir dans la différence une trahison et dans la pluralité une atteinte à l’intégrité. Nous pouvons en guérir.
9- La paranoïa :
Nous sommes amis de qui dans le continent ou dans le monde ? L’Autre est encore la France et la mémoire des morts, le présent est encore le passé. La Révolution algérienne a un côté paranoïaque qui voit une néo-colonisation partout, qui cultive le sentiment anti-français comme une obsession, aveu de sa faiblesse.
Il s’agit pourtant d’être libre : du Régime, de la peur d’autrui, de l’impuissance et de l’intrigue. On construit un pays dans le sens de la souveraineté et de la confiance en soi. Ni «Pour» ni «Contre» un autre pays. La puissance et la liberté s’obtiennent par soi, pas par une autre guerre imaginaire contre autrui.
10- La jeunesse :
C’est la force, enfin vive, de ce pays. Ils sont des millions à qui on a refusé de naître au nom des morts anciens. Le pays est le leur, il n’est pas la propriété des ancêtres. Être jeune en Algérie, c’est le grade le plus haut, selon l’âge le plus vif. Être jeune c’est être plus gradé qu’un vice-ministre de l’armée en Algérie.