Aujourd'hui, Kaïs Saied s'installe comme le candidat naturel de la "Tunisie profonde" : il est celui qui la représente le mieux par son profil, par ses idées et par son projet qui fait de ses habitants des acteurs à la fois politiques et économiques.
Face à cela, l'autre Tunisie, plus bourgeoise disons, comprend, ou ne comprend pas, l'intérêt qu'il y a à ce que cesse l'état de marginalité de l'arrière-pays. Mais, pour beaucoup de gens de cette Tunisie bourgeoise, il y a une sorte de répulsion mentale à l'idée de se retrouver dans le camp des pauvres et des miséreux. Il s'agit d'un facteur psychologique qui échappe aux discussions et aux analyses, mais qui est très déterminant.
C'est cet élément qui va faire grandir le besoin de coller au candidat Kaïs Saied le profil, sinon du sombre islamiste, du moins de son allié et ami. C'est ce même élément qui va aussi faire glisser le choix en direction de l'autre candidat, sur qui pèsent pourtant de graves soupçons de malhonnêteté, des soupçons suffisamment graves en tout cas pour qu'il ne soit pas raisonnablement envisageable de lui confier la charge de représenter le pays.
On va donc assister à une occultation progressive de ce côté sombre du candidat. Puis, comme on assiste à des ralliements surprenants de la part de personnalités éminentes et connues pour leur droiture, le doute croît en ce qui concerne le bien-fondé des suspicions. On se fait une raison, comme on dit.
Un bon scénario serait bien sûr que, malgré tout ce qu'on sait sur lui, Nabil Karoui révèle un profil autre, qui le réhabilite moralement et donne un sens plus authentique à son engagement dans l'action au service des plus démunis. Mais rien de concret à ce stade ne permet de donner quelque crédit à ce scénario.
De sorte que, malgré toutes les réserves qu'on peut avoir au sujet de Kaïs Saied quant à sa compétence politique et sa solidité psychologique, le choix reste le même : celui de le soutenir dans son effort en vue de promouvoir une Tunisie plus inclusive et de prendre le contre-pied de ce mouvement irrationnel de rejet de la Tunisie des profondeurs dont nous parlons.
Non à la "t'hentila"
Plus le candidat Kaïs Saied convainc, et renforce donc son assise dans l'opinion, plus fort est le besoin de contrebalancer le phénomène pour se prémunir contre le scénario d'une puissance excessive. L'action du contrebalancement se traduit par un ralliement à un candidat sur qui pèsent de graves soupçons interdisant de voir en lui un candidat crédible.
Il y a quelque chose de presque dramatique dans la manière dont les gens, sans obtenir le moindre élément sérieux au sujet de la culpabilité ou non de ce second candidat, décident malgré tout de se rapprocher de lui jusqu'à l'adouber complètement.
Dans notre langage coutumier, on appelle cela "t'hentila" ! Et ce n'est pas tolérable : nous n'avons pas choisi la voie de la démocratie pour que certains de nos concitoyens, dont c'est le droit de choisir le candidat qu'ils veulent, se retrouvent dans cette situation qui les humilie.
Il est peut-être temps de commencer d'une seule voix à exiger que le candidat Nabil Karoui vienne s'expliquer sur ce dont il est accusé et qui constitue clairement un motif de disqualification.
Nous aurions d'ailleurs fait d'une pierre deux coups : nous aurions redonné à cette campagne les conditions d'une certaine normalité et, dans le même temps, nous aurions libéré l'un des deux candidats de cette situation d'indétermination qui ne se justifie pas.
S'il est innocent, qu'il soit réhabilité, et s'il est coupable, qu'il nous explique en quoi il peut prétendre au Palais de Carthage quand d'autres comme lui n'auraient au mieux que le Palais de Justice.