De l’art de l’esquive en parlant d’Algérie

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De nombreuses analyses sont publiées, et continueront de l’être, concernant l’Algérie et la situation qui y prévaut. Pour leur lecteur, il est un certain nombre de postulats implicites qu’il est toujours utile et important de connaître ou de déceler pour se faire une idée de la pertinence du texte et de son intention. L’un des plus importants, peut-être le plus important, est de savoir si l’auteur part du principe que l’Algérie est un État de droit et qu’il fonctionne normalement. Si tel est le cas, alors il convient de ne pas perdre son temps. Tout ce qui normalise et blanchit ce qui est anormal n’est pas acceptable.

Un exemple. La récente élection présidentielle du 12 décembre dernier. Faire comme si ce scrutin a été organisé de la manière la plus rigoureuse et la plus transparente, c’est soit se mentir soit propager un mensonge de manière délibérée. Qui peut croire que, soudain, le pays s’est débarrassé de ses mauvaises habitudes ?

Qui peut vraiment croire que l’on peut établir une analyse sérieuse de la situation en disséquant les « chiffres » de la participation et les « résultats » des cinq candidats. Gloser sur le fait que « x » a remporté plus de suffrages qu’« y » est un exercice creux sauf à essayer de comprendre les intentions et la logique interne du système ou, pour reprendre le propos de Mouloud Hamrouche au printemps dernier, du « non-système ».

Je me souviens d’une conférence organisée il y une vingtaine d’année à l’Institut du monde arabe (IMA) sur la Tunisie, alors présidée par feu Zine El Abidine Ben Ali. A la tribune, un chercheur tentait d’expliquer la logique politique concernant l’évolution des scores électoraux, qu’il s’agisse de la présidentielle, des législatives ou des municipales, toutes remportées à la majorité absolue par l’ex-Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD).

Soudain, un Tunisien présent dans l’assistance s’est levé en criant cette phrase : « il n’y a aucune différence à être élu à 90% ou 80% quand le système est verrouillé. » Cela vaut pour l’Algérie. Certes, le pays a désormais un président. It’s a fact. Mais nous savons tous qu’il y a beaucoup à redire sur ce scrutin.

Et il ne s’agit pas simplement de l’abstention (massive) qui affecte la crédibilité de l’élection mais du processus en amont, des mécanismes d’exclusion politique qui prévalent depuis bientôt six décennies, de l’interdiction d’un vrai pluralisme et de l’impossibilité de tout type d’alternance. Une élection n’est jamais le début d’un processus politique de démocratisation, elle doit en être l’aboutissement.

Dès la démission d’Abdelaziz Bouteflika, de nombreux observateurs internationaux posaient la même question. Pourquoi continuer à manifester alors que le président ne fera pas un cinquième mandat ? Puis vint une autre question : pourquoi continuer à manifester alors qu’un scrutin présidentiel est prévu ? Là aussi, ce genre d’interrogation partait du principe que le « reste », était normal.

Or, dans un pays où des gens vont en prison puis en sortent sur simple appel téléphonique, quand des gamins sans avocats encaissent des peines de prison ferme pour un simple drapeau brandi ou quelques propos exaltés sur les réseaux sociaux, alors non, rien n’est normal. Étayer tout raisonnement en faisant de cette élection un élément objectif n’est pas honnête sur le plan intellectuel. En clair, ce n’est pas parce qu’une élection présidentielle a lieu que l’Algérie est une démocratie ou un État de droit. Les apparences d’un changement ne sont jamais la preuve d’un vrai changement.

Autre question fondamentale à poser quand quelqu’un s’exprime à propos de l’Algérie. Quel est, selon lui, le principal problème du pays ? Ou, pour dire les choses de manière plus directe : qui est le plus à blâmer ? Je l’ai déjà écrit mais on ne le répétera jamais assez : depuis le début du mouvement, le Hirak a le courage de regarder le pouvoir algérien dans les yeux en lui disant ceci : « il n’y a aucun blabla possible : tu es le problème numéro un. C’est à toi que l’on doit cet échec et cette situation. »

Pas question donc de biaiser, de tergiverser ou d’éluder les vraies questions. Le Hirak ne ménage pas le pouvoir. Il ne transige pas. Il ne fait pas semblant de croire à l’indépendance de la justice pour justifier son silence quand des gens vont en prison pour leurs opinions. Il ne croit pas que des négociations sérieuses sont ouvertes juste parce que le mot « dialogue » a été prononcé (comme il le fut par le passé sans que rien ne change).

Le Hirak dis les choses sans détours. C’est ce qui lui vaut d’être en danger depuis le début et, plus encore aujourd’hui. Tout cela parce qu’il empêche l’apparence d’un retour à la normalité. Cette normalité pépère où les dissidences, ou celles présentées comme telles, s’en retourneront aux limites qui leurs sont imparties. Position plus ou moins confortable qui leur fera trouver d’autres cibles moins dangereuses.

S’il faut juger la situation du pays, alors il faut rappeler que le peuple n’est pas décideur, que ce ne sont pas des « députés » prompts à voter ce qu’on leur ordonne de voter, qui relaient ses attentes et ses demandes. On trouvera toujours mille et un défauts au peuple du Hirak. Pourquoi, d’ailleurs, devrait-il être parfait ? Où trouve-t-on exemple dans l’Histoire de révolutions menées par des êtres purs et parfaits ? Donc, tout texte d’analyse qui s’éloigne ou qui minimise le point essentiel, à savoir la responsabilité première du pouvoir algérien, n’est guère pertinent.

Ainsi, pour en revenir à l’élection présidentielle, il y a eu des textes circulant sur internet appelant à voter pour tel ou tel candidat au prétexte de faire barrage à celui qui semblait représenter le courant islamiste. Yakhi festi… On retrouve ici cette satanée entourloupe qui consiste à faire oublier l’essentiel en agitant, d’une manière ou d’une autre, le danger des barbus et, ce faisant, les mauvaises manières, ou supposées telles, des Algériennes et des Algériens (wanetoutrisme, obsession du complot, rapport ambigu à la France).

Le Hirak est là pour rappeler cette vérité : le problème numéro un, c’est ce système hors-sol qui, il y a un an, nous expliquait qu’un cinquième mandat de Bouteflika serait la meilleure chose qui puisse arriver au pays.

Le Hirak n’est pas un coup d’État. Comme l’a dit l’excellent et avisé Saïd Djaafer, il n’a pas vocation à prendre le pouvoir (1). Il est là pour acculer le pouvoir, l’obliger à faire concessions sur concessions, notamment sur la question des libertés individuelles et politiques.

Cela prendra le temps qu’il faut, l’Histoire n’étant pas une connexion internet à haut débit. L’impatience, l’inconfort, voire cette amertume qui colle au cœur de nombre d’Algériennes et d’Algériens, ne sauraient être un argument pour déclamer l’élégie du Hirak.


Note

(1) « 47 vendredis contre des décennies de régression : le Hirak a remis l’Algérie en mouvement », Radio M Post, 14 janvier 2019.

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