Donald Trump face au virus, cynique et criminel

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Si un musée de la grande pandémie de Covid-19 ouvre un jour ses portes, la plupart des dirigeants du monde, à commencer par le président français Macron, y seront épinglés pour leur légèreté, leur impéritie et la façon coupable dont ils ont minimisé les dangers du virus.

Dans ce « Hall of Fame » de la grande pandémie du XXIe siècle débutant, Donald Trump aura certainement une place spéciale : non seulement le président n’a pas anticipé cette crise sanitaire majeure, mais il l’a longtemps niée.

Tandis qu’entre 1 000 et 2 000 Américains sont morts cette semaine du coronavirus, qui gagne désormais les campagnes américaines, le président Trump a refusé d’admettre la dangerosité de l’épidémie jusqu’à très récemment. Il se distingue lors de ses briefs quotidiens par des propos incohérents et agressifs, politise outrageusement la crise sanitaire en refusant une assistance digne de ce nom aux États les plus concernés à ce stade – Washington, New York, Michigan, etc. –, en tout cas ceux qui sont dirigés par des gouverneurs démocrates. Jay Inslee, le gouverneur démocrate de l’État de Washington, a été qualifié de « serpent ».

« S’ils ne me traitent pas bien, je ne rappelle pas », a lâché Trump, confondant la gestion de son égo et celle d’une pandémie majeure.

En réalité, son attitude depuis le début de l’année n’est pas juste désinvolte ou coupable : elle a été criminelle.

Alors que le pays est encore loin du pic épidémique, tous les ingrédients d’une catastrophe sanitaire, mais aussi économique et sociale, sont désormais réunis.

L’épidémie accentue les immenses inégalités raciales, sociales et médicales : en Louisiane ou à Chicago (Illinois), 70 % des personnes décédées à ce stade sont des Noirs. Elle fragilise particulièrement les pauvres, les diabétiques et les obèses (40 % de la population, une autre épidémie américaine), menace les détenus et les migrants enfermés dans des conditions indignes.

L’économie de la première puissance mondiale, dont le cœur new-yorkais concentre un tiers des 460 000 cas de virus (et la moitié des morts si on y ajoute le New Jersey voisin), est virtuellement à l’arrêt, dans des proportions jamais vues. En trois semaines, plus de 16 millions d’Américains ont pointé au chômage, une explosion inédite par son ampleur et sa rapidité.

Cent cinquante millions d’Américains bénéficient d’une assurance santé financée par leur employeur : l’explosion du chômage va donc priver des milliers d’entre eux de couverture. Une grande partie des ménages, souvent endettés, n’ont pas d’économies et les banques alimentaires sont prises d’assaut, bien plus encore que lors de la crise financière de 2008.

Le grand plan de soutien et de relance de 2000 milliards de dollars voté en urgence par le Congrès, sous la forme de chèques aux ménages, d’aides massives aux entreprises et d’extension des droits des chômeurs, va mettre du temps à se concrétiser, mais il semble avoir été trop tardif et paraît déjà sous-dimensionné.

Avec cette pandémie, le « cauchemar américain » (l’expression est de l’intellectuelle états-unienne Wendy Brown) révèle toute son atrocité.

« Les travailleurs américains ont désormais l’abîme sous leurs yeux, écrit le site de gauche Jacobin. La magnitude de la récession actuelle risque d’être beaucoup plus massive que la précédente. Si c’est le cas, elle provoquera des formes d’instabilité politique qui feront des années Occupy Wall Street, Donald Trump et Bernie Sanders une décennie idyllique. »

Donald Trump n’est certes pas responsable de l’irruption de cette pandémie, qu’il s’évertue à dépeindre en « virus chinois » ou « étranger ». Mais il l’a totalement niée pendant près de trois mois, envoyant à l’opinion américaine des messages rassurants et ignorants de la réalité scientifique, qui ont empêché les actions concrètes et forcément aggravé la dissémination du virus.

Avec un grand cynisme, Trump considère désormais que les États-Unis auront fait « un très bon travail » si le nombre de morts aux États-Unis est finalement « entre 100 000 et 200 000 morts ».

Ce serait deux à quatre fois plus que le nombre de soldats américains tués pendant la guerre du Viêtnam, et potentiellement la moitié des victimes américaines pendant la Seconde Guerre mondiale.

Un nouveau « Pearl Harbor »

Alors que la pandémie continue de progresser, Trump répète que les Américains doivent « revenir au travail » dès que possible, à rebours des scientifiques qui le conseillent – le plus fameux, l’infectiologue Anthony Fauci, membre de la task force de la Maison Blanche, a dû démentir les propos de Donald Trump qui promettait un retour des Américains au travail « à Pâques ».

Se fondant sur de nouvelles estimations de l’université de Washington, Fauci, attaqué par l’extrême droite pour avoir parfois osé contredire (poliment) Trump, parie désormais sur un reflux des nouveaux cas plus rapide que prévu : il a assuré ce jeudi 9 avril que le nombre de décès pourrait n’être finalement « que » de 60 000 morts…

Il y a quelques jours, le « surgeon général », l’équivalent du ministre fédéral de la santé, a comparé l’envolée actuelle du nombre de morts à un nouveau « Pearl Harbor », cette attaque militaire japonaise en décembre 1941 lors de laquelle 2 000 soldats américains furent tués et qui déclencha l’entrée en guerre des États-Unis.

Mais le coronavirus n’est pas un acte de guerre. Et à la différence de l’attaque japonaise, il était totalement prévisible. Donald Trump n’a juste pas voulu le voir. « Les États-Unis avaient plus d’expertise de ressources et d’expérience épidémiologique que de nombreux pays qui se sont finalement bien mieux défendus contre le virus, estime le Washington Post dans une enquête qui a raconté les 70 jours d’inaction du pouvoir américain. Cet échec rappelle la période d’avant le 11-Septembre : les alarmes ont été sonnées, y compris au plus haut niveau du gouvernement, mais le président y a été sourd jusqu’à ce que l’ennemi attaque. »

La tragédie américaine du coronavirus a débuté dès mars 2018, lorsque l’équipe spéciale chargée de gérer les pandémies à la Maison Blanche a été démantelée. Stephen Schwartz, un chercheur spécialiste de la prolifération nucléaire, avertit alors sur son compte Twitter : « Lorsque la prochaine pandémie éclatera (et soyez-en sûrs, elle éclatera ) et que le gouvernement fédéral sera incapable de répondre d’une façon coordonnée et efficace pour protéger la vie des citoyens américains et des autres, cette décision de John Bolton (alors conseiller de Trump à la sécurité nationale) et de Donald Trump en sera la raison. » Prophétique.

L’administration Trump est notifiée de l’épidémie de coronavirus à Wuhan, Chine, dès le 3 janvier. La réponse de l’administration est pourtant minimale, et Trump s’échine publiquement à nier la dangerosité du virus. La quantité de déclarations publiques rassurantes est vertigineuse : « Tout ira bien, c’est totalement sous contrôle » (22 janvier) ; « Ça se passera bien » (24/01) ; « Nous pensons que nous le contrôlons très bien » (30/01) ; « Quand le temps va se réchauffer le virus deviendra plus faible espérons-le et il partira » (7/02) ; « On est affûté » (10/02) ; « Ça va bien se passer » (19/02) ; « C’est sous contrôle » (24 et 25/02), « Grâce à tout ce que nous avons fait, le risque pour les Américains est très bas » (26/02) ; « Ça va vraiment bien » (28/02) ; « Ça va disparaître un jour, comme un miracle » ; « C’est leur nouveau hoax » (28/02) ; « Ça va passer, restez calme » (10/03) ; « Nous allons très bien nous en sortir » (11/03), etc.

Le changement de ton est amorcé le 15 mars : « C’est un virus très contagieux, c’est incroyable, mais nous le contrôlons incroyablement bien. » Et confirmé le lendemain : « Non, le virus n’est contrôlé nulle part dans le monde. »

Le revirement est complet le 17, alors que la pandémie frappe déjà violemment plusieurs grandes villes américaines. Phrase splendide : « J’ai toujours su que c’était une vraie pandémie. J’ai senti que c’était une pandémie bien avant que l’on détermine que c’était une pandémie. »

Les commentateurs ultra-conservateurs et Fox News, l’organe de propagande de la Maison Blanche, ont utilisé la même rhétorique : la chaîne des Murdoch fait désormais face à une action en justice intentée par des citoyens pour avoir sciemment diffusé des « informations fausses, erronées ou partielles » et mis en danger la vie de ses téléspectateurs.

Au même moment, Trump était pourtant alerté. Peter Navarro, son conseiller pour le commerce international, prévient dès la fin janvier que le coronavirus pourrait coûter des milliers de milliards de dollars à l’économie américaine et menacer la santé et la vie de millions d’Américains. Il évoque déjà entre « 500 000 et 1,2 million de morts » si rien n’est fait. Navarro est considéré comme « trop alarmiste » par Trump et son entourage. Rien de substantiel n’est fait pour préparer le pays à la crise qui vient.

Trump continue ses déclarations rassurantes, serre ostensiblement des mains. Début mars, il organise une visite au siège du CDC, l’agence fédérale de protection de la santé publique : coiffé de la casquette rouge « Keep America Great » portée par ses fans, le président se vante d’avoir tout compris au virus et promet des millions de tests qui ne sont jamais arrivés.

Lorsque la crise sanitaire devient impossible à nier, la gestion de la crise est officiellement confiée au vice-président Mike Pence épaulé de l’infectiologue Fauci. Mais le gendre de Trump, Jared Kushner, est aussi à la manœuvre, et court-circuite une réponse déjà chaotique, où faute d’intervention fédérale massive, chaque État livré à lui-même surenchérit contre les autres pour acquérir les respirateurs et les équipements hospitaliers qui lui font défaut.

« La situation est folle. C’est dingue, explique dans le Financial Times le président de la conférence des maires américains, Tod Cochran. Vous imaginez pendant la Seconde Guerre mondiale les gens surenchérissant les uns sur les autres pour avoir ce dont ils ont besoin ? Il faut une personne, une institution qui centralise tout ça. »

Pendant ce temps, tous les États ont passé des mesures de restriction des déplacements, mais très peu ont passé des mesures de confinement comme New York (et encore, les règles y sont moins contraignantes qu’en France). Et certains, notamment dans le Midwest et le sud, n’ont pas encore fermé leurs restaurants, leurs parcs et leurs plages, faisant craindre une vague épidémique longue aux États-Unis.

Dans son podcast hebdomadaire pour le site The Intercept, le journaliste Mehdi Hasan juge sans fard que Trump gère cette crise comme un « sociopathe ». « Il laisse littéralement les Américains mourir à cause de son égo et spécialement les Américains des États démocrates qui n’ont pas voté pour lui. » Dans son show, Hasan a reçu Glenn Kirschner, ancien procureur fédéral à Washington, qui estime que Trump devrait être poursuivi après son départ de la Maison Blanche pour ses négligences multiples dans la crise sanitaire, et d’éventuels « homicides volontaires ou involontaires ». Sénatrice de l’État d'Ohio, Tavia Galonski aimerait voir Trump poursuivi pour « crimes contre l’humanité ». « Il a introduit de la confusion dans l’esprit des gens, dit-elle. Il leur fait peur, des gens vont être tués à cause de lui. »

Donald Trump n’a guère de souci à se faire de ce côté-là : après le 11-Septembre, les États-Unis se sont retirés du traité instituant la Cour pénale internationale. Tandis que la crise sanitaire contre le coronavirus occupe le devant de la scène, le président américain reste très actif sur d’autres terrains : il en profite pour démanteler encore les régulations environnementales, a limogé l’inspecteur général du renseignement qui avait reçu le témoignage du lanceur d’alertes ayant précipité la procédure de destitution menée contre lui à l’automne dernier, et expulse les migrants à tour de bras.

Confiné chez lui, son opposant démocrate Joe Biden, désormais seul en lice face à lui pour la présidentielle du 3 novembre après l’abandon de Bernie Sanders, peine à faire entendre sa voix. La campagne présidentielle est pour l’instant en stand-by. Nul ne sait dans quelles conditions exactes elle va se dérouler, ni où en sera l’épidémie dans le pays à ce stade. Mais la réponse affligeante du président à la pandémie sera forcément au cœur de l’élection.

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