Le fiasco occidental au début de la crise du virus entraîne une augmentation de l’agressivité contre le nouvel ennemi chinois.
Avec une économie mondiale sur le point d’atteindre sa plus grande dépression depuis la grande crise de 1929 (dixit le FMI) et au milieu des avertissements nerveux de ses propres partisans selon lesquels la superpuissance impériale par excellence pourrait perdre du terrain dans cette crise devant son principal adversaire, on cherche frénétiquement un coupable.
Dans une action sans précédent qualifiée de « crime contre l’humanité » par Richard Horton, rédacteur en chef de la revue médicale The Lancet , le président Trump a suspendu la contribution des États-Unis à l’OMS, l’accusant de « mauvaise gestion » et d’avoir « dissimulé la propagation du virus ». Le même personnage qui a nié la menace et commis toute les maladresses et négligences possibles, tire sur le pianiste dans un combat de Saloon qui s’annonce en vue de sa réélection compromise : « De nombreux décès ont été causés par les erreurs de l’OMS », dit-il.
Trop de choses en évidence
La crise met en évidence trop de choses, d’où l’urgence de détourner l’attention vers des ennemis imaginaires. On recherche ces mythiques empoisonneurs juifs des puits de notre moyen-âge. Et à ce stade de l’histoire, il n’y a pas de meilleur juif sous la main que le chinois. En avril, la pandémie est devenue par la bouche du Président imbécile le « virus chinois », le « virus de Wuhan » ou la grippe « Kun Flu ». Alors la machine s’est mise en route.
Le sénateur Ted Cruz annonce une « Ending Chinese Medical Censorship and Cover Up Act 2020 » qui traduise en justice les fonctionnaires chinois responsables de la rétention présumée d’informations. Son collègue du Missouri, Josh Hawley, veut une loi sur la justice pour les victimes du COVID-19 » pour juger les dirigeants du Parti communiste chinois, et celui de la Caroline du Sud, Lindsey Graham, propose de punir la Chine en annulant sa détention de bons du Trésor US. Comme il se doit, les courroies de transmission des médias ont immédiatement répondu à l’appel.
Lancée comme d’habitude par une innocente fuite d’un « rapport secret » sans preuves de la CIA, la campagne médiatique a commencé par des soupçons de dissimulation des morts de Wuhan. À la mi-avril, les accusations de dissimulation incluaient déjà la thèse d’un virus créé et échappé par la négligence d’un laboratoire chinois, et son ton a acquis le rang de simple folie dans des médias tels que la chaîne Fox, qui renvoie aux démocrates les fables du Russiangate.
L’ancienne juge et éditorialiste, Jeanine Pirro, accuse sur cette chaîne avec un ton apocalyptique, la Chine, de vouloir « détruire ce pays et son mode de vie ». « Nous nous sommes battus trop et trop durement pour tout perdre à cause d’un virus de Wuhan ». « Que la Chine réponde de ce qu’elle a fait, devant nous et le reste du monde », clame-t-elle. Sur la même chaîne, l’ancien agent de la CIA, Bryan Dean Wright, explique à son interlocuteur que certains dirigeants du Parti démocrate « pourraient être des agents chinois du MSS, leurs services secrets ». En fait, les deux prétendants à la Maison Blanche, Trump et Biden, rivalisent dans leurs accusations contre la Chine.
Dans un reportage épique sur la dissimulation présumée du nombre réel de morts à Wuhan, un problème que tous les grands médias occidentaux ont soulevé, Radio Free Asia a rapporté le 6 avril que les Chinois « mettent des gens qui bougent toujours dans les sacs mortuaires parce qu’il n’y avait aucun moyen de les sauver (…) certains ont été emmenés aux crématoriums quand ils étaient encore en vie. La station, un ancien appareil de la CIA, a ajouté avec « candeur » qu’elle n’avait pas été en mesure de « confirmer de façon indépendante ces informations ».
L’Europe les rejoint
Comme il ne pouvait en être autrement, en Europe, on suit cette même piste. « Washington, Paris et Londres sont préoccupés par les zones d’ombre de Pekin sur l’origine du virus », titrait Le Monde le 17 Avril, le même jour Macron a déclaré au Financial Times que « il y a des choses qu’on ne sait pas » (sur la gestion chinoise) et qu’il serait « naïf » de dire que ce pays a mieux géré la crise que la France. En Allemagne, le principal quotidien, le tristement célèbre Bild, se demande si la Chine ne devrait pas « verser d’indemnisation aux pays touchés ».
Faire retomber sur la seule Chine les hésitations initiales, le harcèlement des dénonciateurs gênants ou les manigances comptables sur le nombre de personnes contaminées et mortes - pratiques qui ont été et qui sont répandues en Occident- ou qualifier de « totalitaires », « autoritaires », voire grotesques, lorsqu’elles sont appliquées en Chine, les mesures de confinement et de restriction des mouvements qui sont actuellement en vigueur dans la moitié du monde, fait partie de l’abus.
Au lieu d’adopter rapidement des mesures efficaces, dont celles appliquées aux premières heures de la crise en Asie, comme en Corée du Sud, Taiwan, Honk Kong ou en Chine, on a préféré perdre un temps précieux à nier ou démentir l’utilité de certaines pratiques- l’usage des masques, l’usage généralisé des tests- uniquement parce qu’on n’avait pas les moyens de les appliquer.
A la place d’un simple et franc remerciement pour l’aide de la Chine (au 15 avril quasi 4 milliards de masques, 38 millions de blouse de protection, 2,4 millions de thermomètres à infrarouge et 16 000 respirateurs) beaucoup de gouvernements européens- et le responsable de la politique extérieure de l’Union européenne, Josep Borrell , lui-même- ont préféré répondre par le soupçon d’une « diplomatie du masque » maligne de la part de Pékin. En fait, au lieu de se concentrer sur leurs propres insuffisances et leurs propres erreurs, on invite le public à rejoindre un exercice stupide et stérile de dénigrement de la Chine.
Toujours le même chœur
Généralement, les protagonistes médiatiques de ce grand mouvement collectif sont les mêmes qui depuis des décennies nous martèlent la nécessité de détruire le secteur public. « Ceux qui depuis trente ans occupent tout l’espace médiatique, vantant les bienfaits d’une mondialisation heureuse, d’une Europe des marchés et de la réduction des déficits publics » sont appelés « à se taire au nom du pluralisme et de la décence la plus élémentaire », revendique un manifeste français qui donne les noms et prénoms des principaux « héros nationaux » de cette ligue (l’un d’eux avec un haut-parleur dans ce média), facilement transférables à l’éditocratie de n’importe quel pays occidental.
Alors qu’aux États-Unis, il y a une forte augmentation de vingt points en trois ans d’opinion défavorable à l’égard de la Chine (66%), une enquête italienne de ce mois identifie la Chine comme un « pays ami » (52%), la Russie bénéficie d’un soutien considérable (32%), tandis que les États-Unis ne reçoivent que 17% et 45% considèrent l’Allemagne comme un « pays ennemi ».
Toujours la même chose
Les motifs de cette recherche flagrante de coupables sont beaucoup moins hystériques que ne le suggèrent leurs formes. Et ils sont bien connus. L’émergence de la Chine en tant que puissance et en particulier sa compréhension avec la Russie (il faut le dire, une entente forgée par la stupidité des États-Unis), ont été désignées il y a des années comme la principale menace à la sécurité nationale de la première puissance.
Le développement économique et technologique de la Chine est considéré comme le grand danger. La pandémie, qui en ce moment consacre l’efficacité de la gouvernance en Asie de l’Est contre la négligence occidentale, augmente l’anxiété. Nous ne savons pas si cette crise va accélérer les processus d’ascension et de chute des grandes puissances, mais ce que l’on lit dans toute une série d’institutions impériales, depuis le magazine Foreign Policy jusqu’aux documents du Council on Foreign Relations, sans parler des prévisions du FMI lui-même, le suggèrent.
Les dernières perspectives du World Economic Outlook du FMI (avril) prévoient pour cette année une baisse du PIB de 5,9% aux États-Unis, de 7,5% dans la zone euro et une croissance de 1,2% en Chine dans l’hypothèse où la pandémie atteindrait son point culminant en ce deuxième trimestre de l’année. Si c’était le cas, l’année prochaine, la croissance pourrait atteindre 4,7% aux États-Unis et dans la zone euro et 9,2% en Chine.
On sait déjà que cette comptabilité, qui ne compte pas l’essentiel, vaut la même chose que celle du Gosplan de l’URSS, mais c’est celle sur laquelle ils s’appuient. Et ce n’est pas rassurant. C’est pourquoi ils font la même chose qu’avec le 11 septembre à New York : profiter d’une crise pour accélérer leur course folle et agressive.
« Le moins que les dirigeants des grandes puissances pourraient faire, serait de réduire les dépenses militaires pour financer la sécurité humaine et collective (la seule suppression des plans de réarmement de l’OTAN fournirait 400 milliards aux 29 États membres au cours des quatre prochaines années), repenser l’ensemble du concept de sécurité et le concentrer sur les défis du siècle : fournir de la nourriture, de l’eau, un environnement propre et des soins de santé » », explique l’âgé et déjà fragile Mikhaïl Gorbatchev.
Le premier pas vers une « nouvelle civilisation » pourrait être une réduction de 10% ou 15% des dépenses militaires, a déclaré ce Russe universel. Mais non. Ce qu’ils font, c’est augmenter la pression contre l’adversaire, même au risque de le transformer en ennemi militaire. Nous ne sommes pas loin de cette catastrophe mondiale à côté de laquelle la pandémie actuelle serait anecdotique.