A l’évidence, certaines interventions étaient vides de contenu. D’autres, étaient à côté de l’histoire, ou limitées à sa forme sans en explorer le fond. Il y avait aussi celles traitant indifféremment la ‘’colonisation turque’’ d’une part, pour parler maladroitement des ‘’Ottomans’’, et la colonisation française d’une autre part qui était un phénomène historiquement incomparable.
Notons en passant, que la Tunisie s’est déjà détachée des autorités centrales d’Istanbul depuis l’Etat Husseinite vers les années 1700’s, pour une longue période allant jusqu’à 1956 ; soit deux siècles et demi où la relation entre la population et l’Etat était beaucoup moins instable et moins tendue que celle pendant la courte période 1956-2010.
Il suffit de comparer la moyenne des principaux tiraillements par année entre la population tunisienne et l'Etat. Comparée à la période d’attachement au pourvoir central d’Istanbul où la rente était transférée périodiquement (environ 1575-1700), pendant l’ère Husseinite, l’administration tunisienne s’est renforcée ainsi que le système éducatif, la littérature et l’art tunisiens et les droits de la femme (le contrat de mariage Kairouani), mais aussi la Constitution de 1861…
Autant d’acquis et de réformes structurelles faisant la fierté de tous les tunisiens actuels, laïcs, progressistes, conservateurs, jamais remis en cause… bien que dans un contexte social pré-capitaliste, c’est-à-dire , pré-moderne, basé sur le tribut concrétisé, entre-autres, par le statut de ‘’Khammass’’, institutionnalisé par un décret beylical (relaxant l'immobilité du facteur travail mais renforçant le statut de la propriété du capital (agricole), comme rapport social de reproduction des conditions matérielles d’existence.
A cet égard, même si la conscience historique de l’époque était nettement meilleure que celle dans presque toutes les sociétés arables, sur fond de prédisposition de la société tunisienne à établir le saut vers la modernité, je ne vois nullement de pertinence dans les propos de quelques parlementaires tels que Nasfi et autres, condamnant ‘’la colonisation Turque’’ au même titre, sinon plus, que celle française !
Aussi, nous avons assisté à des interventions monopolisant illégitimement le ‘’fonds de commerce de Bourguiba’’. Mais, il y avait quand même des interventions suggérant une réflexion autour d’une composante de l’histoire ayant suscité la littérature du milieu du XXème siècle. Il s’agit de la question de la ‘’colonisabilité’’ des pays’’ ; soit un concept dû à M. Bennabi.
Ces interventions, tendaient à soutenir le tort que la ‘’Tunisie’’, n’étant même pas concernée, a subi la décision d’être colonisée, suite à un accord entre la Turquie et la France juste avant 1981, avec un excès de détails, voyons-nous, hors contexte. Le risque de cette divagation venant d’un historien qui fait la politique, est que la synthèse serait qu’il s’agissait d’un ‘’protectorat’’ et non de ‘’colonisation ’’, avec la perte de vue de l’auteur pour ne plus savoir à quelle partie faudrait-il se vouer ; à la ‘’tunisienne’’ ou ‘’française’’.
Je crois qu’être historien, n’est pas le fait d’accumuler l’information. Google le fait mieux ainsi que les bases de données. Faire passer le message implicite que la Tunisie était colonisable en médisant ses comparables d’ignorance, sans comprendre que la montée du capitalisme allait surpasser nécessairement aussi bien la Turquie que la Tunisie au même titre que toutes les sociétés fondées encore sur un socle tributaire, serait une entorse intellectuelle inacceptable.
En fait, la thèse de la ‘’colonisablilité de la Tunisie’’, à ne pas chercher à l'évidence chez les non-spécialistes, si ancienne soit-elle, omet que la colonisation française n’était qu’un catalyseur pour accélérer l’expansion du capital sur une base géographique nécessairement mondialisée.
C'est aussi bien la colonisation que l'accélération forcée de l'expansion du capital, occasionnant les tueries qui ne peuvent jamais être justifiées, sans se perdre dans des détails et des petites histoires. La Thèse de colonisabilité, fait renvoyer aussi à un handicap anthropologique des peuples colonisés.
Ce qui serait encore grave car elle suppose une prédisposition organique à accepter le destin avant qu’il ne se réalise. C'est ça la ''conscience'' historique de l'historien quand il fait de la politique.