Je ne sais pas si c'était intentionné, mais il est à remarquer que plusieurs problèmes liés à la transition tunisienne depuis le 14, ont été partiellement traités, ou relégués au second plan au profit de digressions linguistiques et donc conceptuelles.
Certes, à la lumière des révolutions ayant débouché sur la chute du pouvoir comme celle Française, Bolchevique, Chinoise ou autres, des débats intellectuels très profonds ont été menés entre académiciens et au sein de la classe politique dont l'essentiel été publié et a plus tard fait l'objet de courants de pensés que ce soit dans le camp libéral ou critique, témoignant ainsi d'une conscience de veille et d'une réelle implication citoyenne dans le processus du changement.
Ces références ont marqué des générations d’étudiants et chercheurs dans les grandes universités en Economie, en Sociologie, en Science politiques et n’ont certainement pas été sans effet sur le mode de gouvernement dans plusieurs pays dans le monde.
Ceci avait pris corps dans la réalité à travers des stratégies et des choix de politique économique et social comme on en voit les effets dans les sentiers de développement en Russie, en Chine, en France ou dans d'autres pays de l'Amérique du Sud dont les expériences étaient différentes pourtant le référentiel était initialement le même.
Ces débats, aux moments intellectuels intenses, étaient articulés autour des Concepts de l'Etat, de la Société, des Institutions, de l'Essence de l'individu, de l’Équité, du Positionnement international de la société... autant de questions orientées vers l'avenir, n'ayant guère eu d’intérêt à l’éloge du passé qui ne reviendra jamais.
Peu importe l’étendue des effets de ses débats dans l'histoire et le devenir des pays qui en étaient le théâtre de l’exercice du pouvoir et des mouvements sociaux, l'essentiel est que leurs auteurs étaient les témoins oculaires de leur temps présent dans leurs sociétés respectives.
En revanche, depuis le 14 et après une décennie de tâtonnement intellectuel et politique, presque tous les thèmes d’une nouvelle Tunisie ont été abordés mais sur fond d’un système de langage, parait-il inapproprié, témoignant d’Elites intellectuelle, politique et économique peu préparées aux changements structurels et peu outillées pour en saisir l’opportunité historique.
De fait, l’Etat a été conçu du point de vue d’un juridisme poussé à l’extrême, au mieux fonctionnel, sans référence aux théories de l’Etat et à son positionnement spécifique par rapport aux prérogatives de la transition.
Ainsi, les distinctions désaxées entre ‘’légalité’’ et ‘’légitimité’’, entre ‘’Protectorat’’ et ‘’Colonisation’’, ''qui est Président et qui ne l'est pas'' du point de vue du Droit, et la considération purement juridique que ‘’l’absence de cour constitutionnelle offre le monopole d’interprétation de la Constitution au président de la république'' qui se présente en un Herring ou un Sanhouri du Droit Constitutionnel en critiquant le contenu de l’interprétation des autres voix, ou aussi la distinction technique entre ''conflit d'intérêt'' et ''corruption'' …ont fait perdre de vue les problèmes initiaux et ont fait des confusions chez le citoyen qui ne sait plus désormais à quel saint se vouer.
Quant à la société, elle était discutée du mauvais angle d’attaque, celui identitaire. L’individu a malencontreusement été souvent pris pour ‘’une bouche à nourrir’’ et non pour ‘’deux bras à activer’’, et parfois traité du point de vue hédonistique quand il s’agit des libertés individuelles.
Pour ce qui est de l’Economique, l’essentiel n’a pas été fait, puisque les instruments d’analyse sont jusqu’alors supportés par une linguistique révolue, articulée autour de la gestion d’une situation en perpétuel état d’urgence, omettant toute référence à une nouvelle clef de répartition de la Rente sociale et les institutions nécessaires à créer; ''clef de répartition'' au cœur du contrat social, soit un concept qui n’a pas été suggérée par des industriels de l’opinion publique, décrétant celui qui est expert et celui qui ne l’est pas.