Ma lecture de la situation : attention mirages, le "Parti du Président" est une chimère, la dissolution aussi.

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Enfant de l’administration, au parcours plus qu’honorable, Hichem Mechichi, le nouveau chef du gouvernement désigné, inspire la confiance. Mais l’enthousiasme facebookien provoqué par sa nomination est-il pour autant justifié ? Sans vouloir faire offense au nouveau chef du gouvernement, rien, dans son parcours, ne le prédisposait à occuper si vite une si haute charge.

Nous ignorons tout de sa vision, à supposer qu’il en ait une. Son expérience économique et politique sont très minces. Est-il outillé pour négocier avec les partis, avec l’UGTT, avec les partenaires de la Tunisie (les bailleurs de fonds) ? Pour communiquer et interagir avec la presse ? Le doute est permis. A supposer qu’il soit investi, quelle sera la durée de son apprentissage ? Six mois ? Neuf mois ? Un an ?

Pour Kaïs Saied, le choix de Hichem Mechichi vise d’abord à infliger un camouflet au régime des partis. Il illustre aussi un travers désormais coutumier de la vie politique tunisienne : la remise à zéro permanente des compteurs, qui fait perdre un temps infiniment précieux au pays alors que la situation est critique. Si au moins l’expérience du président compensait l’inexpérience du chef du gouvernement ! Même pas… Le choix de Mechichi, candidat de personne, vise en réalité à précipiter une dissolution. Mais là aussi, le calcul est hasardeux.

Tant que le mode de scrutin restera le même, et tant que la scène politique restera aussi éparpillée, le Parlement tunisien demeurera ingouvernable. La théorie selon laquelle une dissolution dont Ennahdha assumerait en quelque sorte la responsabilité politique permettrait de dynamiter électoralement le parti islamiste est une théorie naïve et absurde.

Il ne faut pas s’y tromper : la chose qui rassemble le plus les Tunisiens, c’est le dégoût de la politique. Les derniers sondages indiquent que 6 Tunisiens sur 10 envisagent de s’abstenir en cas de nouvelles élections. Je ne vois aucun élément qui permettrait de modifier cette équation au cours des 3 mois à venir. Sur les 35 à 40% restants, les plus convaincus, les plus polarisés aussi, les lignes risquent de bouger assez peu.

Ennahdha était déjà très bas et avait déjà perdu beaucoup en 2019. Je ne les vois pas reculer davantage. Ils conserveront leur noyau dur, se poseront en victimes, stratégie qui leur a assez bien réussi jusqu’ici. Quant au « Parti du président », c’est une chimère : il n’existe pas ! Et s’il était facile à créer, ce serait déjà fait.

Kaïs Saied est un homme seul. Extrêmement populaire, mais extrêmement seul. Il a été élu sur un malentendu. C’est un mirage. Il est à Carthage depuis 8 mois, ses stratèges auraient eu amplement le temps de structurer un mouvement. Il n’avait pas fallu 6 mois à feu Béji Caïd Essebsi, en 2012, pour mettre sur pied une véritable machine de guerre. Et, à l’époque, il n’était pas à la présidence, mais dans l’opposition. Les partisans de Kaïs Saied n’ont pas été capables de s’organiser après leur victoire. Pourquoi réussiraient-ils, par miracle, après la dissolution ?

Dernier élément à prendre en considération : le PDL d’Abir Moussi. La formation crypto-destourienne a indéniablement le vent en poupe et jouit d’une belle dynamique sondagière. Il incarne le parti de l’ordre, fédère les nostalgiques, les mécontents, et une fraction importante des progressistes désorientés, et devenus politiquement orphelins. Il va siphonner une bonne partie des votes qui s’étaient portés, en 2019, sur le parti de Nabil Karoui.

On peut l’imaginer première ou deuxième force au Parlement. Mais avec quels alliés, pour quelle politique ? La première limite d’Abir Moussi réside dans son caractère clivant. Pour nombre de Tunisiens, notamment les jeunes, séduits par l’idéologie « révolutionnaire », c’est un repoussoir. Idem pour les électeurs sympathisants islamistes. Sa seconde limite est inhérente à son positionnement intransigeant (le positionnement qui lui vaut son succès actuel) : la difficulté à nouer des compromis, à sceller des alliances.

Le PDL peut devenir, sur un malentendu ou par effet de ras-le-bol, le premier parti. Mais, à l’instar du Front National français, il risque de demeurer isolé s’il ne procède pas à un aggiornamento délicat. Dans ces conditions, il y a de fortes chances que le prochain Parlement s’avère ingouvernable, comme l’était le précédent, et peut-être même plus encore.

Pauvre Tunisie !

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