La néo-laïcité ou la nouvelle religion civile en France

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Au totalitarisme jihadiste répond un radicalisme laïque d’un genre nouveau que j’appelle la néo-laïcité, et qui est devenue une véritable religion civile, avec ses rites, sa prêtrise et ses anathèmes.

La néo-laïcité ou la nouvelle religion civile en France

Le nombre des attaques contre les citoyens en France augmente prodigieusement ces derniers temps (trois en l’espace de quelques semaines) et à l’étranger (en Arabie saoudite un gardien de l’ambassade a été attaqué). Tout cela en liaison avec la republication des caricatures de Mahomet.

Que se passe-t-il en France qui ne se reproduit pas – du moins avec une telle virulence– dans le reste de l’Europe ? La France se singularise depuis 2012 par le nombre beaucoup plus élevé des attaques et des victimes du djihadisme, cet extrémisme qui, au nom d’un islam fortement minoritaire, tue les autres et fait tuer ses adeptes sans se soucier des droits humains et de la vie, celle des musulmans inclus.

Mais comment se fait-il que ce soit la France qui soit la cible privilégiée de ces attaques ? De mon point de vue, contestable comme toute vision du social, au totalitarisme jihadiste répond un radicalisme laïque d’un genre nouveau que j’appelle la néo-laïcité, et qui est devenue une véritable religion civile, avec ses rites, sa prêtrise et ses anathèmes.

Commençons par cette mutation de la laïcité qui était à l’origine principe de gestion de l’Etat et instauration d’une vision de société basée sur l’acceptation des religions mais aussi de l’athéisme dans le strict respect des uns et des autres.

La nouvelle laïcité n’est plus ni l’un ni l’autre : il est beaucoup plus que principe de neutralité de l’Etat, elle implique la neutralité religieuse de la société : par exemple, ce ne sont pas les enseignants seuls, fonctionnaires de l’Etat qui doivent respecter la consigne d’absence d’insignes religieux, mais aussi les élèves dans l’école publique ; ou encore, les femmes qui travaillent au sein d’une association liée à l’école publique doivent se conformer à l’absence de voile (il s’agit, on le sait bien, principalement de l’islam) ; ou encore, d’éminents représentants de l’Etat (ministres, hauts fonctionnaires…) délégitiment le voile publiquement.

Il s’agit bel et bien de la mise en place progressive de consignes « sacrés » pour contrecarrer une autre religion, principalement l’islam. Ce faisant, la laïcité revêt un sens nouveau, en contraste avec son rôle de maintien de l’Etat hors de la sphère religieuse.

Cette nouvelle religion civile a ses prêtres et ses soutiens inconditionnels : ce sont certains grands agents de l’Etat et des intellectuels qui appellent à une forme de guerre sainte contre le djihadisme. Ceux qui ne sont pas d’accord avec ces procédés sont anathématisés, traités « d’islamo-gauchistes », voire de traîtres tout court. Enfin, certains intellectuels et intellectuelles dénoncent « l’abdication » de ceux qui appellent à réfléchir de manière autonome contre ce déchaînement malsain d’attaques violents et de contre-attaques légales (avec des lois de plus en plus répressives et ciblant l’islam on accroît le sentiment d’humiliation des musulmans et certains peuvent succomber à l’extrémisme violent, ce qui, en riposte, engendre des lois et leur application de plus en plus répressive).

Il ne s’agit plus uniquement d’une « passion française » pour la polémique, mais de la constitution d’une véritable religion néo-laïque, qui, à la différence de la laïcité tempérée, appelle à la guerre sainte, emboîtant le pas à l’islamisme radical dont elle dénonce, à juste titre, l’intolérance fascisante, mais dont l’action devient l’esclave de celui-ci : on emboîte le pas à l’islamisme radical dans un crescendo d’actions et de réactions qui est le déni même de la souveraineté mentale des partisans de la liberté.

Cette religion nouvelle, par ses thuriféraires interposés, engendre à son tour une guerre de religions que la laïcité fidèle à ses origines tentait précisément d’éviter. En effet, au nom de la défense de la liberté d’expression, elle promeut une nouvelle intolérance (des juristes ont dénoncé les restrictions aux droits des citoyens par les nouvelles lois) et surtout, par un déchaînement des passions, engendre provocation, contre-provocation et la descente en enfer pour la société.

On voit bien les effets pervers de cette religion néo-laïque dans la combinaison de deux notions qui sont devenues des dogmes sacrés pour ses adeptes : le droit au blasphème et les caricatures.

Les caricatures contre l’Eglise se présentaient à l’origine dans un contexte où les catholiques faisaient aussi appel à celle-ci pour dénoncer les laïques. Il y avait réciprocité. Or, de nos jours, quel musulman peut-il faire des caricatures aussi iconoclastes que celles de Charlie Hebdo contre les néo-laïques sans être traité d’islamiste et tomber sous le coup de la loi ? Par ailleurs, quel journal accepterait-il de les publier ? Il n’y a manifestement pas de réciprocité mais un effet de domination incontournable. Ce n’est pas de la liberté d’expression qu’il s’agit en l’occurrence, mais de celle des laïques contre ceux qui ne sont pas à même de riposter.

Plus fondamentalement, le blasphème, reconnu par la loi non seulement en France mais un peu partout en Europe occidentale, est une faculté dont on peut se prévaloir mais qui, dans une société modérée n’est pas promue comme un droit illimité, en ayant recours au bon sens dont Descartes pensait qu’il était la chose du monde la mieux partagée.

Or, on le voit avec la néo-laïcité, le blasphème est promu comme un pilier de la nouvelle foi. Charlie Hebdo les republie, des enseignants en font comme un bréviaire (et malheureusement quelques-uns paient le prix fort sous le couteau des fanatiques pour la plupart indécelables par les autorités avant leur acte pervers), l’Etat promet de les publier séparément et de les mettre à la disposition des enseignants… Bref, du simple droit au blasphème on en est venu insensiblement à l’exhortation au blasphème comme expression enthousiaste de la nouvelle foi néo-laïque.

Or le blasphème est une forme non-argumentative et sarcastique de liberté que l’on devrait utiliser, au mieux, avec un grain de sel, dans des circonstances exceptionnelles. On invoque le droit à la liberté d’expression à son égard, mais en réalité, il s’agit d’une réactivité (on répond du tic au tac aux terroristes jihadistes) et on le sait bien, la réactivité est signe d’hétéronomie beaucoup plus que d’autonomie.

La liberté d’expression, comprise dans son essence, suppose l’autonomie souveraine de l’instance qui l’exerce et qui n’agit pas fondamentalement en riposte aux fanatiques et aux fous, mais en affirmant le droit à l’exercice critique des arguments et des contre-arguments.

En s’adonnant au blasphème dans une orgie caricaturale dont la France semble détenir désormais l’exclusivité en Europe (même au Danemark où les caricatures de Mahomet ont vu d’abord le jour on semble y avoir renoncé pour le moment), on promeut une religiosité à fleur de peau dont le souci majeur n’est pas l’affirmation solennelle de la liberté mais le refus de prendre ses distances vis-à-vis des fanatiques et des extrémistes de tout genre : on riposte à la provocation par la contre-provocation, à la violence par une contre-violence, certes légale, mais qui porte l’empreinte des circonstances dans lesquelles elle est née, engendrant humiliation et stigmatisation non seulement chez les musulmans radicaux, mais aussi chez la majeure partie des musulmans modérés qui se sentent visés par cette focalisation malsaine sur l’islam.

Il est temps de renouer avec la sereine laïcité qui revient aux principes républicains et brise l’essor du crescendo dans la violence. Il est temps de mettre fin à la guerre des religions même si l’une, la néo-laïcité, est de loin supérieure, jusque sous sa forme excessive, au djihadisme, véritable totalitarisme que rejette, par ailleurs, l’écrasante majorité des musulmans. Il faut que la laïcité s'affirme souveraine non en "ripostant" au djihadisme, mais en revenant aux fondamentaux de la République.

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