Mesrine le flic
Je reçus le colis à 7 heures du matin. Un paquet de chair tuméfiée enveloppé dans un sac de jute dont dépassaient deux bras à la peau blanche marbrée. Des ecchymoses qui n’avaient pas encore eu le temps de virer au bleu zébraient la partie visible du corps et portaient la trace de l’ennui de l’équipe chargée de l’arrestation. Ils n’ont pas pu résister à l’envie de l’amocher en dépit de son inconscience. Combien de sacs pareils ont atterri dans mon bureau ?
A en juger par le volume, ce devait être une jeune fille, pas très corpulente, de taille respectable. Je n’aime pas interroger les filles, certaines tentations sont difficilement maitrisables. Je défis le sac avec précaution pour dégager la tête et je restai plusieurs secondes médusé, interdit, incrédule. C’était Mahmoud, le fils de mon voisin Haj Othman. !!
Mais quels cons ! Comment peut-on donner un flingue et autant d’autorité à des abrutis pareils ? Ils étaient censés arrêter un être démoniaque, le cerveau d’une cellule terroriste et ils amènent un gamin aussi doux qu’un petit chaton !
Mahmoud, je le connaissais bien ; je l’ai vu souvent jouer au foot dans le quartier, je l’ai applaudi et encouragé ; je prenais un plaisir fou à le regarder se jouer de tous ses adversaires, virevoltant comme un papillon insaisissable. Un garçon courtois, chaleureux et plein de vie. Et maintenant je dois le torturer pour lui faire avouer je ne sais trop quoi ! Une cellule terroriste ! Comme si ce gamin pouvait avoir quelque chose à voir avec le terrorisme. !!
Mais les ordres du commissaire étaient clairs. Et on ne plaisante pas avec Massinissa ! Il sait être aussi cruel avec ses subordonnés qu’il l’est avec les détenus. Massinissa a autant de sentiments qu’un alligator, ses yeux ne disent jamais qu’il va vous mordre, mais lorsque ses mâchoires se resserrent autour de votre corps, il prend autant de plaisir à vous voir souffrir qu’à l’idée de soulager son instinct carnassier.
Mais merde ! Ce n’est qu’un gamin, et je le connais et je connais son père ! Peut-être que je pourrais faire semblant pendant l’interrogatoire, ne pas trop le malmener, pas de sévices susceptibles d’occasionner des séquelles irréparables, pas de cruauté pouvant lui faire avouer des absurdités. Après tout je suis un flic, non un monstre.
Non, il ne faut pas faire le malin. Comme si les autres ne vont pas s’en apercevoir… ! Ils seraient capables de dénoncer mon manque de zèle pour une cigarette, ou un simple regard reconnaissant du crocodile en chef. Comment peuvent-ils être aussi cruels, aussi inhumains, aussi froids devant la souffrance de leurs victimes ? Comment peut-on torturer un gosse ensuite rentrer chez soi serrer ses enfants entre ses bras ? Mais en sont-ils encore capables ? Comment peuvent-ils violer une femme sans penser à la leur, livrée à la merci d’autres monstres, soumise aux vils instincts d’un pervers sadique ? D’ailleurs comment arrivent-ils encore à trouver du plaisir avec leurs femmes ?
Crevette, le roux, me disait l’autre jour qu’il n’arrivait plus à s’exciter avec sa femme, qu’il avait besoin de lui mettre les menottes et faire semblant de la violer. Il lui est même arrivé plus d’une fois de la terrifier en s’oubliant et la battant comme il le faisait avec les détenues pendant les interrogatoires. Dans l’intimité il la traitait de pute, de trainée, de guenon en chaleur pour arriver à éprouver du désir. Et depuis, il vit dans la crainte obsessionnelle de ne pas la retrouver en rentrant un jour du travail.
Que faire ? Être humain et se préparer à souffrir ou bien souffrir pour rester en sécurité ? Et puis, qu’est-ce qu’être humain au bout du compte ? Le premier devoir d’un être humain n’est-il pas de se maintenir en vie ? De s’occuper d’abord de sa propre sécurité ? Pourquoi faut-il absolument éprouver de la douleur à la souffrance infligée à un autre corps ? Enfin, il ne va pas en mourir ! Le chef a besoin de lui vivant et, à son âge, c’est un épisode qu’on oublie tellement vite… !