Il y a un an, rares étaient ceux qui prévoyaient ce qui attendait alors l’humanité. On savait bien que quelque chose de plutôt grave se passait en Chine, loin là-bas. On avait appris qu’un médecin-ophtalmologue, le Dr Li Wenliang, avait alerté sur la multiplication de cas d’une pneumonie inconnue à l’hôpital de Wuhan avant de tomber lui-même malade. On savait que des mesures drastiques avaient été prises par les autorités chinoises, à l’image du confinement de plusieurs dizaines de millions de personnes dans et autour de la ville de Wuhan (23 janvier 2020).
Une quarantaine inédite, autoritaire, liberticide, mais bon, « c’est la Chine » se disait-on, pas trop inquiets, ayant un vague souvenir que l’épisode du Sras au début des années 2000 s’était vite dissipé.
D’ailleurs, les médecins stars du petit-écran n’affirmaient-ils pas qu’il n’y avait pas lieu d’avoir peur d’une « grippette » ? Même l’annulation par Pékin des célébrations du nouvel an lunaire (25 janvier) ne provoquèrent pas de craintes d’autant que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait que la pandémie à laquelle les autorités chinoises faisaient face ne constituait pas une urgence publique de portée internationale « en l’absence de preuve de propagation du virus en dehors de la Chine ».
Et puis… Et puis la longue litanie des mauvaises nouvelles a commencé avec notamment l’annonce de la mort du Dr Wenliang, lanceur d’alerte maltraité par les autorités chinoises et la diffusion spectaculaire du virus de la Covid-19 ainsi nommée.
Lorsqu’il s’agira de raconter l’histoire de cette pandémie, il est évident que l’un de ses premiers chapitres concernera la dégradation rapide de la situation en Italie en février 2020, notamment après un match de football (Ligue des champions) entre l’Atalanta de Bergame et Valence suivi par 40 000 supporters au stade San Siro de Milan (19 février).
Le cas italien aurait dû obliger les responsables européens mais aussi maghrébins à vite réagir. Ce ne fut pas le cas. En France, comme aux États-Unis ou en Algérie, il ne fut guère question de confinement ou de mesures drastiques. Le retard à l’allumage sera d’un mois. Un mois de trop. Un mois derrière lequel la planète court encore.
Il est encore tôt pour tirer un bilan définitif de cette pandémie d’autant qu’elle est loin d’être vaincue. On retiendra que les atermoiements politiques (Macron qui, en France, incita ses compatriotes à continuer à aller au théâtre et à sortir le soir avant d’instaurer un confinement total une semaine plus tard…) et les conséquences des gestions libérales des systèmes de santé (notamment en Occident ; pour les pays du Maghreb, c’est l’absence de politique tout-court) sont responsables du décès de centaines de milliers de personnes.
La découverte de vaccins, la généralisation des mesures barrières (qui, au passage, ont fait chuter de manière spectaculaire la transmission de la grippe « classique »), les campagnes de prévention auprès des plus faibles sont des points positifs qu’il ne faut pas négliger même si les irréductibles anti-masque, anti-vaccins, anti-tout en fait, continuent de sévir. Mais il est temps de tirer aussi la sonnette d’alarme concernant les conséquences sociales de cette épidémie.
On parle beaucoup des entreprises, des petits commerces, du monde de la culture et des arts, tous négativement impactés par les mesures sanitaires. Il n’y a pas lieu de relativiser cela ou même de contester les différentes aides qui ont été débloquées pour compenser les pertes de chiffres d’affaires.
C’est à l’aune de ce qui est proposé aux uns et autres que l’on peut juger de la solidité des systèmes sociaux d’un pays. Il est plus facile d’être un éditeur ou un artisan en Italie ou en France qu’en Algérie ou en Turquie. Cela n’étonnera personne mais c’est ainsi. Par contre, il est une constante que l’on retrouve partout et qui mérite d’être signalée.
Dans ce grand fracas provoqué par l’épidémie, les jeunes sont eux-aussi des victimes. Certes, on insiste beaucoup sur le fait qu’ils sont peu menacés par le virus (même si le « variant » anglais semble plus nocif pour eux). Cette immunité par l’âge est le prétexte à des discours stigmatisant « l’inconscience des jeunes », leur égoïsme, leur refus de faire attention aux gestes barrière, autant d’inconséquences qui mettraient les plus âgés en danger.
Il est évident que les organisateurs de fêtes clandestines ont une part de responsabilité dans la diffusion du virus mais ce qui frappe, c’est que la catégorie « jeunes » dans son ensemble est désignée comme l’ennemi, le grand-responsable de la persistance de l’épidémie.
Pendant ce temps-là, des étudiants abandonnés à eux-mêmes sont en profonde dépression. Des jeunes bacheliers, pour qui la première année d’université aurait dû être celle des moments initiatiques de l’âge adulte, sont en profond désarroi. Et que dire de celles et ceux qui ont abandonné leurs études faute de moyens.
Un exemple emblématique : En France, des associations distribuent des colis alimentaires à des jeunes incapables de subvenir à leurs besoins les plus importants. Être jeune aujourd’hui n’est pas une sinécure, loin s’en faut.
Les grandes épidémies sont toujours des moments de rupture. Dans l’urgence du moment, mais aussi pour l’avenir, il est temps de mettre en place un revenu universel pour les plus jeunes, les 18-25 ans. Une sorte de présalaire pour permettre un démarrage convenable dans la vie. Certains prétendent que cela serait dangereux, que cela inciterait à la paresse et à l’oisiveté. Je ne le crois pas.
Je note surtout que ce sont souvent les plus aisés, ceux qui ont accompli leurs études dans de bonnes conditions – notamment grâce à un environnement familial qui les a soutenu sur le plan matériel – qui refusent ce revenu universel. Cette posture idéologique est contreproductive. Elle crée de la douleur et du malheur. Elle gâche une entrée dans la vie d’adulte qui mériterait d’être bien moins ardue.