Boire un café sur la terrasse par un soleil radieux est de nouveau un plaisir sans pareil. Après avoir reniflé ma tasse et montré ostensiblement son dégoût, mon chat César s’assoit le plus loin possible et se consacre à une énième toilette intégrale. Non sans lorgner de temps à autre sur les intrépides mésanges à la recherche de miettes égarées.
Devant moi descend la vallée jusqu’à un petit étang où se reflète le ciel au bleu d’azur. Au sommet pelé de la colline se dressent les éoliennes comme un signe incontournable de la présence humaine au milieu de la nature sauvage. En réalité, la nature n’est plus sauvage depuis longtemps. Il y a jolie lurette que la main de l’homme l’a modelée à son profit. Combien, depuis la plus haute antiquité, de buttes, de mamelons et de tertres n’ont-ils pas été rabotés pour édifier un temple, un mausolée, un château-fort aujourd’hui disparus ou en ruines ? Combien de chapelles votives désaffectées ? Combien de fiers châteaux d’eau abandonnés ? Nos actuelles machines à vent n’en sont guère que les derniers avatars.
Le jour où le premier homo-habilis s’est emparé d’un silex pour tailler un racloir ou allumer un feu, entasser au prix de mille efforts des blocs assez lourds pour obstruer une grotte ou édifier une première cabane assez solide pour résister à la tempête, la terre a commencé à changer de visage. Construire une pyramide au milieu du désert, une ville avec ses remparts, ses palais, ses lieux de culte et ses commerces, lancer un pont au-dessus d’une rivière, la détourner ou creuser un canal pour amener l’eau à proximité, fouiller les entrailles du sol pour en extraire le fer, l’or et le plomb, en percer la croûte à la recherche de pétrole ou de gaz, tout devenait dès lors un jeu d’enfant. Et la terre perdait définitivement son image d’origine. Et la nature perdait à jamais sa virginité.
Ma région d’accueil était autrefois recouverte d’ormes qui donnèrent leur nom aux Celtes qui l’investirent et la rasèrent. On n’y voit plus aujourd’hui que châtaigniers, hêtres et douglas importés de pays lointains. Les sous-bois s’acidifient, l’érosion emporte les terres végétales dans les rigoles qui les entraînent vers les fleuves dont elles envasent les rives et les embouchures. Et l’homme toujours plus nombreux répand ses agglomérations avec force béton et asphalte comme un chancre dévastateur. Point n’est besoin de bourrasques, d’ouragans, d’inondations, de séismes ou d’éruptions volcaniques pour fragiliser un environnement de plus en plus instable et capricieux. Le locataire le plus industrieux de la planète y pourvoit bien tout seul.
Le réchauffement climatique sera-t-il sa dernière arme ? Il devra pourtant montrer un peu plus de modestie. Cette période de l’histoire géologique que certains scientifiques voudraient appeler "anthropocène" en référence à l’implication humaine dans sa genèse et son déroulement n’en sera pas l’ultime métamorphose.
Les astrophysiciens prédisent que dans deux milliards d’années tout au plus, toute vie aura disparu. Brûlée, calcinée, consumée par la chaleur du soleil. Et l’homme n’y sera pour rien, cette fois. Mais existera-t-il encore ? Voilà qui laisse bien des choses à penser à propos de l’avenir du futur.