Allons enfants de la gauche, pour Alain Juppé, aux primaires de la droite, il nous faut absolument voter ! Voici, en forçant (juste) un peu le trait, le mot d’ordre tel qu’il circule en ce moment à gauche. Enfin, pas dans toute la gauche mais chez beaucoup de gens de gauche parmi lesquels les ineffables bobos-écolos-véganos-vélos.
La motivation d’un tel acte, contre nature, écrivons-le tout de suite, réside dans la volonté de faire barrage à Nicolas Sarkozy qui, on ne peut l’ignorer, entend reprendre son ancien bureau au Palais de l’Elysée au mois de mai prochain. Calcul simple : on vote pour Juppé aux primaires de la droite pour stopper l’hargneux et inconséquent revanchard. Et ensuite ? Ensuite, on… Bah, ensuite, on verra…
Les vétérans de cette chronique peuvent témoigner de l’aversion que son auteur porte à Nicolas Sarkozy. Elle ne date pas d’hier. Elle l’a porté à se colleter avec certains de ses amis (lesquels font partie des lecteurs de la première heure, coucou Karim !) qui pensaient que ministre de l’intérieur en 2005 avait la carrure présidentielle pour changer la France et la réveiller de son long sommeil entamé dès le deuxième mandat de François Mitterrand (le désormais épistolier célébré sans décence aucune par le tout-Paris germanopratin). On sait ce qu’il advint et il est inutile de revenir sur les péripéties hexagonales de 2007 à 2012.
Certes, assister à la réélection de celui dont on sait aujourd’hui qu’il n’a ni principes ni scrupules (citons simplement l’invraisemblable histoire des fausses factures destinées à masquer le dépassement de ses dépenses de campagne) est susceptible d’endolorir nombre de fondements mais, soyons sérieux. Voter Juppé ? Au nom de quelle éthique politique ? Un matin, on ne cesse de regretter la confusion des programmes politiques, la convergence néolibérale entre parti socialiste et ex-UMP et il faudrait ensuite participer aux primaires de « les républicains » (ah que c’est moche, quand c’est écrit ainsi) au nom d’une combinazione politique ?
Passons sur l’obligation de lâcher deux euros par tour de scrutin (20 et 27 novembre), il faudra signer un papier où il est écrit, noir sur blanc, la mention suivante : « Je partage les valeurs républicaines de la droite et du centre et je m’engage pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France ». En clair, on devra se parjurer pour la « bonne cause ». Parce que signer ce papelard équivaudra à dire : Je ne suis pas de droite mais je vote aux primaires de la droite pour choisir son candidat dont, en tant que partisan de la gauche, je souhaiterai tout de même la défaite à la présidentielle. Chouiya tordu comme raisonnement, non ?
Reconnaissons néanmoins qu’il existe un débat byzantin autour de la phrase qui vient d’être citée. Nombre de celles et ceux (de gauche) qui vont voter Juppé aux primaires LR insistent, pour se justifier et s’amender, sur les termes « valeurs républicaines ». Autrement dit, pour eux, il ne s’agit pas d’affirmer que l’on partage « toutes » les valeurs de la droite (et du centre… dont on se demande pourquoi il est cité ici, mais passons) mais juste les dites républicaines…
On m’explique ainsi que ces valeurs républicaines sont le socle commun à la droite et à la gauche. Je vous demande pardon ? Ah oui, je corrige : disons donc, le socle commun à la droite, à la gauche et… au centre. Admettons de bon cœur que cette intersection existe. Mais cela signifierait que la primaire de la droite (et du centre) n’est organisée que pour désigner le candidat le plus républicain de cette honorable famille politique. Ce n’est pourtant pas ce que disent les programmes des uns et des autres. C’est une compétition pour désigner le candidat de la droite (et du centre), un point c’est tout.
Le Juppé qui, en 1995, a voulu réformer les régimes spéciaux des retraites est le même que celui de 2016, quelques zestes d’écologie en plus. On peut respecter l’homme, lui reconnaître une belle réussite dans la métamorphose de la ville de Bordeaux dont il est le maire mais cela ne justifie pas que l’on prenne des libertés avec l’éthique et la morale. En clair, aux gens de droite (et du centre), et à eux seuls, les primaires de la droite (et du centre).
Il faut néanmoins saluer l’exploit de celui ou celle qui a conçu cette phrase. L’insertion de la mention « valeurs républicaines » est une belle trouvaille pour attirer et balayer les scrupules des électeurs de gauche et il semble que les sarkozystes n’ont pas vu le piège. On peut aussi se permettre quelques considérations moqueuses à propos de la deuxième partie de la phrase. « Je m’engage pour l’alternance… ». De quelle alternance parle-t-on ?
Considérant que la France est actuellement dirigée par un président de centre-gauche (soyons indulgents), cela signifie donc que l’on souhaite l’élection d’un président de droite parce que, disons-le tout de suite, aucun des candidats à la primaire LR ne peut être considéré comme de centre-droit, Juppé compris. En réalité, s’il y a bien une constante dans la politique française, c’est que la droite reste la droite et que les gens de gauche qui viendraient se mêler à ses affaires risquent de faire beaucoup de tort à la démocratie.