Leïla Haj Amor : l’autopsie d’une révolution avortée….

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A la veille de la présentation officielle de son premier roman « برزخ العشاق », dont je viens de terminer la lecture, il m’a semblé opportun d’exprimer un jugement, bien que superficiel et hâtif, sur cette œuvre romanesque de notre amie Leïla Haj Amor.

L’impression que l’on garde après la lecture de ce récit passionnant est mitigée, ambivalente car sortir indemne de cet univers ubuesque dans lequel on a plongé pendant quelques jours est une épreuve difficile, ardue voire pénible d’autant plus que l’écriture de l’écrivaine, quoique élégante, souverainement débordante d’énergie et de vitalité, est tantôt abrupte, rude, impitoyable, tantôt légère, pétillante, virevoltante et empreinte d’une sensibilité extrême, d’une délicatesse savoureuse.

Je ne me hasarderai pas à dévoiler l’intrigue et à décrire les ressorts psychologiques des personnages éphémères, fantomatiques, absents malgré leur présence presque mythique, surréaliste, lourde de témoignages cruels, blessants, sanglants sur la tyrannie, l’oppression, les flétrissures de l’âme et de l’esprit abimés par la morgue infâme d’une dictature inculte, arriérée, avilissante et castratrice.

Ce roman ne se donne pas à lire, ne se prête pas à une analyse frivole et décalée, il résiste aux clichés littéraires éculés et aux interprétations évasives et fugaces d’un critique par trop académique et soumis aux tendances dominantes de la littérature arabe contemporaine.

La prudence est nécessaire car on l’aborde avec perplexité, scepticisme et quelque peur d’être entrainé, malgré soi, dans les dédales mystérieux d’un récit polyphonique où s’entremêlent des voix dissonantes, fortes, audibles, les unes humaines et vivantes, dynamiques et volubiles, les autres sépulcrales, spectrales, mortuaires, somptuaires mais envoutantes et voluptueuses.

Néanmoins, la symphonie ne souffre d’aucune distorsion, supportée en cela par le chevauchement, imperméable au temps, de récits qui s’imbriquent, se séparent, se confondent, se retrouvent, s’alternent, se multiplient (comme autant de miroirs brisés, de miroirs aux alouettes) …au fil des prolepses et des analèpses, des souvenirs qui progressent sans cette linéarité lassante, figée, inaltérable.

La trajectoire du souvenir post-mortem est indéfinie, imprécise, chaotique, floue, elle épouse les contours de l’épouvante, de la frayeur issues de la précarité d’une existence proscrite, bannie, volée et violée. Cependant, quand elle ne tressaillit pas, elle se projette dans une vision moins macabre du présent et languit l’espoir trahi, l’amour confisqué, le rire déformé par le rictus implacable de la férocité inhumaine des despotes-vampires.

C’est alors que le récit devient fluide, pénétré des airs nouveaux d’une révolution, qui, sans être une antienne, surprend, dérange, provoque la résurrection des morts et la résurgence du verbe banni, resté impavide, complet, total, en dépit des vermines, qui ont certes rongé ,mutilé le corps mais ont été incapables d’apprivoiser l’esprit, de le délester du souvenir impétueux, majestueux, brusquement revigoré par les vents torrides de la liberté désirée, des passions estompées par le couperet de la horde tyrannique.

Changement de ton, changement de rythme, accélération de l’histoire jusque là confinée dans l’absurde surréel de lieux consacrés à la mort et interdits à la parole incandescente, puissante, vraie , sincère des hommes justes et libres.

La symbolique des dialogues symptomatiques de la désacralisation de la vie et de sa relégation à l’obscurité humide d’une tombe où naissent les idées et où meurent les fripons fantasques, est rendue avec verve et intelligence grâce à cet échange fécond, printanier, annonciateur de rosées propices aux aubes étincelantes, entre l’au-delà mythique et le mimosa, gardien sévère du souvenir , enraciné dans ce passé inquiet mais en même temps altier, fiévreusement vertical, figure emblématique de la sensibilité et de la délicatesse.

Le mimosa illumine de ses pompons d’or nos jardins endormis par l’hiver de la tyrannie, sa chevelure d’un blond éclatant inspire les sentiments les plus nobles, les passions les plus fascinantes.

Sur un tas de fumier, la liberté resplendira.

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