Il y a vingt ans, dans l’Amérique latine des juntes, être de gauche menait le plus souvent en prison ou à la mort et être ou paraître de droite devenait une question de survie. Les temps ont bien changé, puisque des journalistes de l’hebdomadaire uruguayen Búsqueda intentent un procès à un sénateur qui a osé dire que leur journal était "de droite".
Il y a vingt ou trente ans, dans le Cône sud, il suffisait de se déclarer de gauche pour aller en prison ou perdre la vie au cours d’une séance de torture. La très grande majorité des citoyens et la quasi-totalité des médias veillaient - de diverses façons - à s’identifier à la droite. Etre de droite ne relevait pas seulement du politiquement correct, c’était aussi une question de survie.
On en est loin aujourd’hui. Témoin le procès qui a eu lieu a en Uruguay. Búsqueda, un hebdomadaire très connu [1], mène une action en justice contre un sénateur, José Korzeniak [socialiste], qui a qualifié ce journal "de droite".
La juge chargée de l’affaire a dû appeler à la barre différents témoins pour définir ce qui est de droite et ce qui est de gauche. Ce procès doit, semble-t-il, résoudre une question philosophique qui n’a jamais été tranchée. Cet exercice dialectique est très salutaire, mais la manière et le lieu s’avèrent pour le moins surréalistes.
Je suppose que si l’on démontre que Búsqueda n’est pas de droite, le sénateur perdra le procès, tandis que, dans le cas contraire, il sera acquitté. Ce qui nous amène toutefois à un autre problème. Comment l’exercice de la liberté d’expression peut-il constituer un délit ? En quoi est-ce à la loi de décider si Búsqueda est de gauche ou de droite ? Pourquoi devrait-on considérer que c’est une insulte ou un délit d’être de droite ? Toute l’opposition n’est-elle pas de droite ? Et, d’un point de vue plus extrémiste, le gouvernement lui-même ne serait-il pas de droite ?
Tel sénateur est-il de gauche ou de droite ? Tel ou tel journal est-il de gauche ou de droite ? C’est à chaque citoyen d’en juger. La seule chose que les citoyens doivent exiger de la loi, de la justice, c’est qu’elles respectent et protègent leur droit de se faire l’opinion qu’ils veulent. Dans une société ouverte, la censure ne devrait venir que de la raison ou de la force des arguments. S’il était possible de parvenir à un consensus social sur un sujet donné, un tel consensus devrait naître de la liberté d’expression la plus absolue, et non être imposé par une quelconque autorité ou par la peur du "délit d’opinion".
Nous autres Uruguayens, qui sommes si fiers de notre tradition démocratique, pouvons-nous encore surmonter les paramètres mentaux de la dictature ? Pourquoi une telle peur de la liberté ? Dans de nombreux pays d’Amérique latine, on voit encore proliférer les procès pour des questions d’"honneur". Le duel, héritage de la chevalerie médiévale, a laissé des traces et rendue notre mentalité anachronique.
Je peux comprendre que l’apologie du délit soit considérée comme un délit en soi, mais je ne vois pas en quoi le fait de qualifier "de droite" une personne ou un média revienne à faire l’apologie du délit. Du moins, cela reste à prouver.
Premièrement, parce qu’être de droite n’incite pas nécessairement au vol ou au crime.
Deuxièmement, parce que nous connaissons des gens qui croient honnêtement qu’être de droite est une vertu, et non un défaut insultant.
Troisièmement, parce que nul n’est à l’abri d’un comportement ou d’opinions de droite.
Notes
[1] Créé peu avant le coup d’Etat de 1973, cet hebdomadaire qui a toujours soutenu la dictature se veut aujourd’hui indépendant