Meurtre de Khashoggi : L’Arabie saoudite négocie-t-elle une issue de secours pour échapper à la justice?

Le président Recep Tayyip Erdogan a décidé de sacrifier les efforts turcs pour obtenir justice pour le meurtre brutal du chroniqueur du Washington Post Jamal Khashoggi, apparemment dans l’espoir d’attirer le soutien financier et les investissements saoudiens pour l’économie turque ravagée par l’inflation.

Cela semble être ce qui se cache derrière l’annonce soudaine par le procureur principal dans le procès en abstentia de 26 Saoudiens inculpés pour le meurtre de Khashoggi que l’affaire devrait être déplacée en Arabie saoudite. Le bureau du procureur général saoudien avait demandé le transfert, et de toute évidence, les tribunaux turcs prévoient de s’y conformer.

La décision reflète le désir apparent d’Erdogan d’améliorer les relations turco-saoudiennes et d’en récolter les fruits financiers, comme il l’a fait avec les Émirats arabes unis, en particulier avec le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed bin Zayed. Les deux dirigeants se sont récemment rendus dans les capitales l’un de l’autre, mettant fin à une décennie d’hostilité qui a culminé avec l’annonce par Abou Dhabi de son intention de réaliser 10 milliards de dollars de nouveaux investissements en Turquie.

La rivalité turco-émiratie reflétait les tensions laissées par les bouleversements politiques du printemps arabe de 2011. Erdogan a cherché à soutenir les gouvernements islamistes nouvellement élus en Tunisie et en Égypte et à fournir une assistance aux acteurs islamistes qui se disputent le pouvoir, de la Libye à la Syrie. En revanche, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite ont activement œuvré à saper l’efficacité des gouvernements dirigés par les islamistes et à renforcer les forces contre-révolutionnaires dans toute la région à la suite des manifestations de masse de cette année-là.

Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite ont accusé la Turquie et le Qatar de soutenir les mouvements islamistes dans la région, une crainte qui les a incités, avec le Bahreïn et l’Égypte, à initier un blocus contre le Qatar en juin 2017, avec l’approbation initiale de l’administration Trump. La décision saoudienne de lever le blocus après l’élection de Biden, et la détente qui a suivi au sein du Conseil de coopération du Golfe, ont établi une tendance vers une diplomatie renforcée dans la région tout au long de 2021, y compris le rapprochement entre la Turquie et les Émirats arabes unis.

Pourtant, les relations turco-saoudiennes sont restées tendues depuis le meurtre et le démembrement de Khashoggi au consulat saoudien à Istanbul en octobre 2018. À l’époque, la publication lente et régulière d’informations par les médias turcs a contribué à maintenir l’attention sur cette histoire horrible, tandis que les enquêtes ultérieures des autorités turques ont conclu que l’équipe qui a exécuté ce meurtre abject était étroitement liée au dirigeant de facto du royaume, le prince héritier Mohammed bin Salman, sinon ordonné par lui. Avec l’annonce que les tribunaux turcs ne chercheront plus à demander des comptes aux meurtriers de Khashoggi, il semble clair qu’Erdogan a décidé de donner la priorité à son avenir politique plutôt qu’à l’élucidation du meurtre de Khashoggi.

Erdogan détient le pouvoir en tant que Premier ministre ou président de la Turquie depuis 2003. La force électorale d’Erdogan et du parti AKP provient principalement de la croissance économique de la Turquie pendant une grande partie de son mandat, tirée en partie par des investissements massifs dans la construction, financés par le crédit étranger et un déficit béant de la balance courante. Les pièges de cette approche sont devenus évidents lors de la crise de la dette turque en 2018, lorsque la valeur de la livre turque s’est effondrée, déclenchant une spirale inflationniste qui a atteint 54% en février. En 2018, le parti AKP au pouvoir a perdu sa majorité à l’Assemblée nationale turque, et à seulement 14 mois des élections générales, l’avenir politique d’Erdogan pourrait dépendre de la sécurisation de nouvelles sources d’investissement étranger et de soutien financier.

En plus de ses efforts pour améliorer les liens avec les Saoudiens et les Émiratis, Erdogan a également cherché à améliorer les relations avec Israël, qui sont tendues depuis plus d’une décennie. En 2010, une flottille de navires turcs transportant des milliers de tonnes d’aide humanitaire a cherché à briser le blocus israélien de Gaza ; l’armée israélienne est intervenue pour les arrêter et a tué dix civils ce faisant.

Depuis lors, Erdogan a fréquemment souligné le sort des Palestiniens tout en apportant un soutien diplomatique au Hamas, notamment en offrant aux dirigeants du parti un sanctuaire en Turquie. Israël a réagi en s’alliant avec la Grèce rivale de la Turquie ainsi qu’avec la République de Chypre, en organisant des exercices militaires conjoints et en s’associant à l’exploration gazière en Méditerranée orientale.

La récente visite à Ankara du président israélien Isaac Herzog confirme la réinitialisation de la position d’Erdogan. Malgré la décennie précédente d’acrimonie, les liens turco-israéliens sont de longue date : la Turquie a été le premier pays à majorité musulmane à reconnaître Israël en 1949 et, encouragée par l’administration de Ronald Reagan, son armée a développé des liens particulièrement étroits avec les Forces de défense israéliennes au cours des années 1980. Malgré les efforts d’Erdogan pour défendre la cause palestinienne et soutenir les mouvements islamistes dans la région, les liens commerciaux turco-israéliens sont restés forts.

Compte tenu du degré émergent de coopération entre Israël, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et les États-Unis contre l’Iran, les récents efforts d’Erdogan pour maintenir des liens plus étroits avec chacun de ces pays peuvent refléter non seulement son intérêt à gagner des investissements étrangers, mais aussi un calcul stratégique sur l’équilibre futur des pouvoirs dans la région.

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