Si le Hamas est passé d’une organisation qui se contente d’orchestrer des opérations ponctuelles - pour préserver aux yeux des Palestiniens et du monde son statut de gardien de la résistance palestinienne – à une organisation qui engage des actions militaires complexes capables d’ébranler la confiance de l’ennemi dans ses propres capacités, nul doute que cette métamorphose s’est accompagnée d’une vision plus prospective de ses initiatives.
On ne peut concevoir que le tactique avance séparément du stratégique. Or dès lors qu’on envisage les choses sous cet angle, surgit la question suivante : quel est l’objectif du Hamas à plus long terme ? Quel est-il sachant qu’il ne peut ignorer qu’Israël va répondre de la manière féroce et dévastatrice qui est la sienne quand il est attaqué, et qu’il y mettra même encore plus de rage destructrice qu’autrefois pour laver l’affront qui lui a été fait ?
Ce n’est pas tout : Hamas ne peut pas ignorer non plus qu’Israël va vouloir en finir avec lui en cette occasion. D’autant que l’existence de cette organisation politico-militaire en son voisinage immédiat représente une menace de plus en plus vive eu égard à ses projets de normalisation avec certains pays arabes.
D’aucuns pourraient donc se demander pourquoi le Hamas a servi à Israël sur un plateau, pour ainsi dire, la possibilité d’engager une guerre totale contre lui. Car cette hypothèse n’en est pas une parmi d’autres. Après ce qui s’est passé, le gouvernement israélien ne pourra retrouver sa légitimité aux yeux de l’électeur israélien que s’il élimine le Hamas purement et simplement… Et cela, Hamas le sait. Et on a de bonnes raisons de penser qu’il s’y est préparé.
Si on pense le contraire, cela revient à dire que le Hamas n’a fait ce qu’il a fait que pour se payer un quart d’heure de gloire et qu’il reste malgré tout prisonnier d’une logique de l’action désespérée. C’est une possibilité qu’on ne peut exclure. Mais, comme on l’a dit, l’évolution très remarquable de l’organisation nous suggère que c’est peu probable.
Quel peut donc être le jeu du Hamas ? Attirer l’armée israélienne sur le terrain du combat de rue, de manière à lui infliger encore plus de pertes ? Oui, sans doute. Le combat de rue est un combat qui va installer durablement les opinions arabes dans la temporalité dramatique de la guerre. De sorte que les plans de normalisation vont devoir être rangés dans les tiroirs pour un bon bout de temps.
Au-delà du Hamas qui y trouve un intérêt, c’est l’Iran qui serait le grand bénéficiaire de ce report sine die. Le rapprochement entre Israël et l’Arabie saoudite est en effet plein de dangers pour ses positions dans la région : que ce soit au Liban, en Syrie ou au Yémen. Et si ces positions sont menacées, c’est la survie du Hamas qui l’est aussi.
Mais, au-delà de ces considérations purement défensives, y a-t-il une autre carte dans le jeu du Hamas ? Oui, il y en a une. Et c’est celle de l’effondrement politique de l’Etat d’Israël. Car il y a longtemps que le grand rêve d’Israël n’est plus que celui de colons racistes et fanatiques. Il est loin le temps où les Juifs acceptaient de voir leurs enfants partir au front au risque de leur vie. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux n’y sont plus prêts. Ils ne veulent plus payer de leur sang la bêtise d’une politique d’extrême droite qui, de leur point de vue en tout cas, n’a pas seulement foulé au pied la dignité d’un peuple qui réclamait son droit à l’existence et à la souveraineté : elle a profané un rêve pour lequel leurs parents étaient prêts à se sacrifier.
Elle a érigé Israël en champion de la préférence de soi et du mépris de l’autre face au monde… Quelle gloire y a-t-il à livrer sa vie ou celle des siens à une épopée qui a si mal tourné ? Telle est la question qui, sans toujours s’énoncer clairement dans la tête des habitants juifs, représente une objection lancinante à la perspective de leur engagement.
Et si Hamas, sentant ce tournant dans la société juive d’Israël, faisait le pari que la réponse israélienne à son attaque ne ferait que révéler la fatigue d’un mythe !