1- C’est évidemment Ciotti (prononcez Chiôttti’) qui a raison : quand Marine sera aux manettes, non seulement on rasera gratis, mais, en plus, les lotions garantissant aux chauves une coupe afro en une semaine seront remboursées par la Sécu. Hâtez-vous, il n’y en aura pas pour tout le monde.
2- Dans mon village, Bardella ayant recueilli 35% des suffrages exprimés auxquels il conviendra d’ajouter les voix recueillies par la Maréchal et Philippot plus quelques autres encore, on peut estimer qu’en gros et à la date d’aujourd’hui, un votant sur deux est un nazi. Quand je vais acheter mon pain, je fais le compte : un nazi, un pas-nazi ou pas-encore nazi, etc.
Quand je dis nazi, ça n’est pas une exagération rhétorique. Fin janvier 1933, un.e nazi.e, c’était loin d’être, en général, un.e fanatique obsédé.e par la mise à feu et à sang de toute l’Europe, par l’extermination de tous les Juifs jusqu’au dernier.
C’était plutôt un.e paumé.e qui « croyait en lui (Lui) », voyait dans le Führer le salut de l’Allemagne et pensait que les Juifs qui empoisonnaient la vie des Allemands devaient être mis au pas. Exactement comme le marino-bardelliste d’aujourd’hui est convaincu que seul le RN peut « nous » sortir du pétrin et « régler » le problème de l’immigration d’où provient sinon tout le mal, du moins l’essentiel de celui-ci. Donc, je maintiens : un.e nazi.e, version 1933. Comme le bulletin de vote ne laisse de trace ni sur les mains, ni sur les visages, je continue à dire bonjour à tout le monde.
3- Une fois que le disque dur du type qui, à l’épreuve de l’exercice du pouvoir est passé du centre-gauche au crypto-marinisme, se trouve définitivement grillé, ne lui reste plus que le recours à des coups. Le coup politique n’est pas un coup de tête irréfléchi, il relève bien d’un calcul d’intérêt, mais celui-ci ne peut être dit rationnel, tant il demeure enfermé dans le présent le plus immédiat. C’est ainsi que la dissolution de l’Assemblée, au lendemain des Européennes est un « coup », au même titre que la nomination de Rachida Dati au ministère de la Culture ou l’annonce de l’envoi de conseiller militaires français en Ukraine.
Les journalistes l’ont dit : cela ressemble davantage à un coup de poker qu’à un coup de folie ou un coup de sang. C’est le déchet de l’intelligence politique, charrié par l’infinie présomption du type qui continue, en dépit de toutes les cinglantes sanctions que lui a infligées le réel au fil des ans, à se prendre pour le phénix de la politique politicienne.
Un coup qu’il voit gagnant à tous les coups – une martingale : si les résultats des Législatives infirment tant soit peu ou significativement ceux des Européennes (la mobilisation de la trouille ayant miraculeusement converti le tout sauf Macron en tout sauf Marine et le fascisme), alors le mérite lui en reviendra tout entier. Et si le raz-de-marée brun se confirme, alors il y aura cohabitation et le RN ressortira rincé/lessivé par l’épreuve de l’exercice du pouvoir (Jordan ou Marine premier ministre) constamment contrarié par l’Elysée.
On sait où conduit habituellement ce genre de calcul florentin. Chirac s’y est exercé, avec le succès que l’on sait, lorsqu’il s’agissait de mettre un frein à l’irrésistible ascension de Sarkozy. C’est là politique de gribouille, pure fuite dans l’imaginaire quand le roi est nu et que le logiciel de ce qui lui tenait lieu de Realpolitik est cassé, irréparable.
Mais Paul Ricoeur, la glorieuse fibre philosophique du macronisme, dans tout ça ?
4- Ils ont pris la raclée du siècle, mais il leur en faudrait davantage pour revenir au réel : alors ils se pressent ensemble autour d’une table et fabriquent en moins de temps qu’il en faut pour le dire un Front populaire de papier qui n’est que le conglomérat de leurs échecs, de leurs aveuglements et de leurs petits calculs.
Demain, lorsqu’il faudra se répartir les circonscriptions, les couteaux seront à nouveau sur la table et les petits égorgements entre amis se prolongeront jusqu’au bout de la nuit – la plus fantomatique des campagnes électorales. Ils ont pris la raclée du siècle (et ne l’ont pas volée, collectivement), mais ils sont à ce point hors-sol qu’ils en sont déjà à rêver d’un miraculeux retournement et à se disputer un poste de premier ministre revenant à la gauche fantôme, ressuscitée sur le fumier du marinisme. L’amour du pouvoir est vraiment le crack de ces clowns. Oublions-les.
5- Après les Européennes, l’homme fort, l’homme providentiel de la gauche partidaire s’appelle Glucksmann. Le seul problème, c’est que cet envoyé de la Providence n’est qu’une fiction, un mirage. Essayiste sans œuvre, aventurier politique surgi de nulle part, et surtout idiot utile des chevaux de retour du PS ancienne manière – les Hollande, les Cazeneuve and Co. Digne rejeton d’un illuminé maoïste qui se prenait pour Clausewitz et finit dans les eaux de Marie-France Garaud. Si c’est avec ça que vous entendez faire peau neuve, bon vent. Autant boire pour oublier ou oublier pour boire – les deux sont souverains contre les chimères.
6- Il n’y a rien, rigoureusement rien à attendre des rabibochages et rafistolages des appareils de la politique institutionnelle dans la perspective de la lutte contre le fascisme. Ces gens-là, ces mécaniques font, depuis des années et collectivement le lit du fascisme en France et si une résistance à celui-ci se dessine enfin, ce sera contre eux, en dépit d’eux. Ce ne sont pas des coalitions électorales improvisées, bricolées dans la hâte et la panique qui dresseront, pas davantage aujourd’hui qu’hier ou avant-hier, quelque barrage que ce soit contre le fascisme.
Si une énergie ou une puissance peut se lever contre le fascisme aujourd’hui, elle ne peut surgir que d’un mouvement populaire affranchi (et entièrement défiant) des appareils de la politique de l’Etat. Si vous voulez vraiment faire obstacle à la coalescence de la vague brune et des moyens de l’Etat, déployez vos propres moyens de résistance au fascisme, faites en sorte qu’éclosent, partout des comités antifascistes, des instances de lutte populaire, à la base, dans les localités, sur les lieux de travail. N’attendez rien des combinaisons d’appareils, des calculs des gens abonnés à la Raison d’Etat et comptez sur vos propres forces. Seule la montée d’un peuple antifasciste, se tenant à distance de la politique des appareils, peut contrarier vraiment ce qui apparaît aujourd’hui comme l’inéluctable. Ce qui, d’une certaine façon, est déjà acté : l’occupation de l’Etat par les fascistes.
7- Nous sommes engagés dans une guerre de positions, de longue haleine contre le fascisme – la raison pour laquelle l’approche paniquarde du jour fatal où la bande à Marine arrivera(it) aux affaires est mauvaise conseillère. En conséquence, la bonne façon de faire, ce n’est pas de tenter de dresser un « barrage », au prix de n’importe quelle concession, compromission, collusion, destiné à empêcher que survienne cette échéance fatale, c’est de composer une force qui, durablement, résiste au fascisme et le contrebatte. Une force qui croisse et agisse, ce qui est tout autre chose qu’un rassemblement ponctuel, variablement inspiré par la trouille, et qui ne se projette pas au-delà de l’horizon des rituels « A bas ! » et « J’emmerde... », sans lendemain ni suite dans les idées, ni esprit d’endurance et ténacité.
Après tout, dans les circonstances actuelles, si, comme il est infiniment probable, les fascistes arrivent au pouvoir, ce sera dans les conditions les plus irréprochablement légales, ce qui, inévitablement, place en porte-à-faux toutes les incantations destinées à exorciser le mal. La question première serait plutôt, dans ce contexte, celle du jour d’après et des jours et des jours suivants – comment former un front de lutte capable de mettre en échec un gouvernement fasciste tendant naturellement à se durcir en régime de cette espèce ?
8- Pour composer une force populaire, surgie d’en bas et qui s’établisse dans la durée pour lutter contre le fascisme-de-pouvoir, le démo-fascisme qui est devenu la chose la mieux partagée dans toute l’Europe aujourd’hui, il faut se rassembler autour de motifs clairs et incontestables : le premier d’entre eux, c’est le rejet de toute espèce de politique et de gouvernement des vivants dont le principe est la division et l’opposition entre ceux qui auraient vocation à être inclus, reconnus et protégés et, à l’opposé, indésirables, en-trop, inintégrables, concurrents déloyaux (etc.). Cette rhétorique obsessionnelle et corrompue du même en guerre contre l’autre est la matrice et l’idée fixe des fascistes qui aspirent à gouverner aujourd’hui au nom de tous. C’est contre ce poison qu’un mouvement antifasciste doit se déclarer en état de guerre perpétuelle. Or, cette perspective est totalement incompatible avec quelque soumission de ce combat aux conditions d’appareils politiques dont le propre est de pactiser, dans des formes et à des degrés divers, avec cette idéologie mortifère.
9- Le reste découle de cette prémisse : la lutte contre le fascisme est égalitaire, internationaliste et cosmopolite, ennemie de toutes les discriminations. Ce n’est pas le catalogue, avec sa prétention à l’exhaustivité qui compte (la marotte des partis politiques), c’est la pointe de la flèche – aussi acérée que possible. La lutte contre le fascisme dont la prémisse est qu’il faut rassembler aussi largement que possible et, à cette fin, émousser toutes les pointes pour ne blesser personne, est vouée à l’échec. La lutte contre le fascisme est une lutte pour quelque chose – un monde où les fascistes auraient été renvoyés à leur néant. Ce qui est l’inverse même de l’agglutination de toutes les peurs.
10- Ne perdez jamais de vue, quand même, que, désormais, la plus traumatisante des péripéties électorales demeure un fait minoritaire : aux Européennes, le taux de participation a été de 51, 40%, ce qui signifie un votant sur deux parmi les inscrits sur les listes électorales. Et derrière les abstentionnistes, se dessine l’interminable cohorte des gens réellement existants qui ne sont pas inscrits, de ceux qui n’ont pas accès à la condition de votants, pour une multitude de raisons, de nationalité, d’âge, etc. La majorité du peuple réel n’a pas dit son mot dans cette affaire, ce qui, naturellement, réduit la portée de ses résultats dans des proportions considérables.
La construction de la réalité de la chose terrible qui vient d’arriver commence par l’oubli (l’oblitération) de ce fait massif. Or, une réalité construite demeure toujours, par quelque biais, indémêlable d’une fiction.