Imprévisibles et incompréhensibles, la plupart des Présidents Tunisiens ! Ils sont rongés par la méfiance, l’absolutisme et le pessimisme le plus noir, croyant trop en eux, pas assez en leur pays et se renfermant à chaque épopée dans un égoïsme nihiliste et frondeur. La Tunisie républicaine n’est malheureusement pas faite pour vivre dans le consensus depuis un certain 25 Juillet 1957 car des hommes d’état se sont acharnés depuis plus de six décennies à déconstruire la bonne marche d’une Nation qui n’en demandait pas tant depuis son indépendance. Aujourd’hui, le signal négatif envoyé est si démonstratif qu’il ne saurait se dissocier, encore une fois, des mœurs politiciennes habituelles …
Et pourtant, le peuple s’était élevé au-dessus des politiques lors de la Révolution de jasmin mais le pouvoir n’a pas eu le tact de transformer un tsunami émotionnel en une force politique unie au service de l’intérêt général. Une anomalie, riche de signification que l’on retrouve depuis chaque passation de pouvoir, forcée ou démocratique.
La question qui se pose est de savoir si les politiques suicidaires de ces Présidents ne feront pas de la Tunisie, la patrie du défaitisme, de l’incivisme et de la décadence ! Comment ce pays peut-il dorénavant offrir le symbole d’une Nation mobilisée pour proclamer son attachement aux valeurs démocratiques, plutôt qu’aux perversions et à l’incompétence de ses classes dirigeantes qui l’ont conduite à la ruine financière et à la désagrégation sociale ? …
Depuis le moment Bourguiba, le déni de réalité et le jeu fourbe ont été les symptômes essentiels d’une grave maladie présidentielle. Malgré la propagande d’état qui avait fait de lui un mythe, c’était lui qui avait appris à l’élite politique, le langage mensonger qui dissolvait les affres du quotidien dans les circonlocutions, les euphémismes ou les silences du verbe.
C’était encore lui qui avait banalisé la transgression de l’institution par la désobéissance aux règles du droit constitutionnel. On pourra toujours réfuter mes diatribes, mais c’était sa mixture entre Scapin, Judas et Narcisse qui avait fait dévier les politiques de leur trajectoire de probité. Je persiste à croire qu’un Président honnête ne chevauche pas l’Institution pour nourrir ses propres ambitions mais s’y soumet en mettant les garde-fous qui empêchent la satiété engendrée par l’emprise du pouvoir …
Il y a donc eu fatalement du Bourguiba dans le génotype politique des Présidents Ben Ali, Béji Caïd Essebsi et Kaïs Saied, avec les mutations propres à chaque époque mais la matrice commune reste très ressemblante.
Aujourd’hui, l’Assemblée Représentative du Peuple est interdite de réunion, les pleins pouvoirs sont chez le seul Président, la chasse aux sorcières entamée, la classe politique diabolisée et un ancien Président, condamné à quatre années de prison pour avoir osé élever le ton contre une Dictature naissante.
Il est impensable que l’on se dispense du débat, de l’argumentation et de la réfutation. Il ne faut que combattre, rien que se battre et la controverse est un piège qui profiterait aux fascistes ! Oui, sûrement, il faut réagir, pas à tort et à travers, mais en usant de la loi plutôt que d’abuser de la dénégation, l’arbitraire et l’exclusion. C’est le leitmotiv des démocrates du monde entier qui avancent qu’une cible persécutée finit par gagner une aura d’invincibilité, en jetant le discrédit sur le tireur fou …
C’est pourquoi le conspirationnisme excessif me fait réagir de façon épidermique. Je sais bien que la politique n’est pas faite pour les enfants de chœur. Les coups tordus, les manœuvres sournoises et les entourloupes font partie du jeu. L’histoire aurait pu s’écrire en sens contraire sans rien perdre de sa vraisemblance. Mais voilà, Bourguiba s’était tellement attaché au pouvoir qu’il avait fallu que Ben Ali l’en détache d’une manière ou d’une autre. Et Ben Ali s’était tellement servi du bras armé de son mentor et s’était laissé aveuglément manipuler par sa belle-famille qu’il avait fallu toute une révolution pour le faire fuir.
Après une transition au pouvoir, l’islam politique, malmené par les deux premiers présidents, avait repris le dessus en dominant le pays, grâce à la main tendue de Béji Caïd Essebsi. Enfin, après des élections transparentes dont le slogan était ”le peuple veut”, ”Kaiser” Saied choisira le chemin du justicier solitaire …
Pour vous dire vrai, je suis aigri par tout cet oligopole présidentiel présomptueux, qui, au fil des années, aura étouffé l’économie du pays, devenue sous-compétitive et agonisante. Au lieu de réformes urgentes, l’on batifole allègrement et inconsciemment d’un pouvoir politique au suivant.
La Tunisie sera sans aucun doute étranglée par la dépréciation continue du dinar et la peur de l’avenir. Son horizon se joue entre le rien programmé et le tout improvisé. L’insolvabilité du trésor et les péripéties hasardeuses des dirigeants républicains ont jalonné le décrochage du pays, certes ralenti par quelques artifices, mais le plongeon sera définitif dans un futur proche.
Le système politique apporte chaque jour une preuve de son inefficacité jusqu’à la prochaine crise de régime, la mise en cessation de paiement et la soumission au diktat des bailleurs de fonds, états ou instances financières internationales …
Qui l’eut imaginé aux lendemains de l’indépendance ? Une République prometteuse, mais en panne depuis son avènement, aura mis la Tunisie en grave péril économique, social et politique. Les Tunisiens ne rêvent plus et du fond de leurs esprits moroses, leur viennent l’image des statuettes des trois singes se bouchant les oreilles, les yeux et la bouche. La particularité de leur aveuglement, est d’être hypnotisé par les mêmes qui devraient leur révéler ce que l’on voudrait ignorer par leur faute.
Tant pis pour ce beau pays et au diable une certaine intelligentsia qui pense nous imposer un monde conforme à ses présupposés idéologiques, instrumentalisée par des slogans creux, dépassés et trompeurs. Il est l’heure à l’analyse impartiale, aux cauchemars itératifs et à l’acceptation de cette effarante réalité, plutôt qu’à l’éternel encensement de quelque Dictateur du passé …
Aussi, tout ce propos est né de la façon de réagir face aux dérives d’un régime. Être un bon tunisien ne peut aboutir à une tautologie souvent pauvre. C’est véritablement s’inscrire dans l’énergie du parcours, sa part d’inaccompli, d’inconnu et d’inquiétude. Il est anormal que la Tunisie politique continue à contourner les normes par une forme de ruse anti-démocratique.
Il y en a plus qu’assez de ces thèses réchauffées et des apôtres qui s’improvisent témoins de la vérité. La blague du coup de force politique dure depuis 1957 à cause du principe de survie d’un peuple faible, ne misant que sur la symbolique. Depuis, la roublardise au sommet de l’État a toujours gardé un visage normal, intégré dans un rouage bien huilé …
Alors, aujourd’hui, ne m’en veuillez pas d’être très remonté. Je suis choqué par le non-discernement de mes compatriotes. Il y a dans l’imposture, quelque chose de trouble qui fait que je ne crois plus en personne aux plus hautes fonctions du pouvoir. La Tunisie républicaine a toujours vécu dans l’ère de l’impudence et dans l’art de la duperie. Elle restera un chagrin politique et sociologique tant qu’elle s’inclinera devant toutes les volte-face inédites du passé, du présent et du futur .