L’interminable conflit du Sahara occidental

En novembre 1975, la monarchie marocaine organise une marche à laquelle participent des milliers de personnes décidées à récupérer « les provinces du Sud ». Mise sous pression, à un moment où le général Franco était agonisant, l’Espagne invite alors le Maroc et la Mauritanie à signer les Accords de Madrid par lesquels la souveraineté du territoire est transférée aux deux pays.

Le régime algérien, hostile à ces accords, réagit en donnant son soutien total au Front Polisario (Front pour la Libération de Saguia el Hamra et le Rio del Oro). Cette organisation politique armée, créée en 1973 dans le but de mettre fin à l’occupation espagnole, s’engage alors dans la lutte pour l’indépendance du Sahara occidental. Cela déclenchera une guerre meurtrière, amenant la Mauritanie à se retirer des Accords de Madrid et à abandonner la moitié sud du territoire.

Entre-temps, fuyant les zones de combats, plusieurs milliers de réfugiés franchissent la frontière algérienne et s’installent dans des camps de la région de Tindouf. C’est là que le Front Polisario proclame, en février 1976, la naissance de la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Celle-ci est reconnue à ce jour par plusieurs États (dont les rivaux du Maroc dans le monde arabe), mais pas par l’ONU.

La monarchie marocaine, soutenue par la majorité de la population du pays, reste déterminée à occuper un territoire qu’elle considère comme faisant partie intégrante du Maroc. Face à cette détermination, l’Algérie, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, soutient militairement, financièrement et diplomatiquement le Front Polisario. Ni l’Organisation de l’unité africaine (OUA), ni la Ligue arabe, ni l’ONU ne sont arrivées à résoudre ce conflit qui empêche les deux voisins, l’Algérie et le Maroc, de normaliser leurs relations et d’entamer une coopération économique bénéfique à la région.

Un conflit qui s’enlise

Pendant plusieurs années, l’armée marocaine a dû faire face à une guérilla dont l’efficacité avait baissé, au début des années 1980, avec la construction d’un mur infranchissable qui protège le « Sahara utile » – la partie occidentale riche en ressources naturelles, en opposition à la partie orientale dite du « Sahara libre », sous l’autorité du Front Polisario. Un cessez-le-feu a néanmoins été signé sous les auspices de l’ONU, en 1991, et les deux parties, marocaine et sahraouie, se sont mises d’accord pour organiser un référendum qui déterminera l’avenir du territoire.

La population locale aurait la possibilité de choisir librement entre un État indépendant ou le rattachement au Maroc. L’ONU crée alors la MINURSO (Mission des Nations unies pour le référendum au Sahara occidental), chargée officiellement de réunir les conditions de déroulement de ce référendum. Mais celui-ci n’a pas eu lieu, en raison de désaccords sur la détermination de l’électorat.

Le Front Polisario estime en effet que seuls les habitants du territoire – et leurs enfants devenus adultes – au moment du départ de l’Espagne, en 1975, ont le droit de vote. À l’inverse, les Marocains considèrent que l’électorat doit aussi comprendre les descendants de Sahraouis chassés vers le Maroc par les Espagnols, au XIXe siècle, et qui sont retournés après 1975.

À cette date, le territoire comptait 100 000 habitants; aujourd’hui, il en compte quatre fois plus. Le résultat du vote ne serait certainement pas le même selon l’option de l’une ou l’autre partie. Malgré les efforts diplomatiques et les pressions, le conflit s’est donc enlisé sans aucune perspective d’avenir. En 2007, l’ONU adopte la résolution 1754 pressant les protagonistes du conflit à « parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable » qui permette l’autodétermination du peuple du Sahara occidental. Cette résolution sera suivie, en avril 2007, par des négociations entre Marocains et Sahraouis. Cependant, celles-ci n’ont pas abouti à un compromis sur la détermination de l’électorat.

Rivalité Maroc-Algérie

Le conflit du Sahara occidental exprime une rivalité entre deux États voisins, le Maroc et l’Algérie, qui se disputent le leadership dans la région. Leurs régimes font du nationalisme une ressource politique à usage interne. La monarchie marocaine ne veut pas risquer d’apparaître tiède dans ce que les partis politiques historiques locaux appellent « l’achèvement de la libération nationale ». Le Palais sait que s’il abandonne le Sahara occidental, l’opposition l’attaquera pour l’affaiblir et, éventuellement, renverser la monarchie.

Il faut dire que la revendication du Sahara jouit d’un soutien populaire très large, et que son abandon aurait un coût politique très élevé pour la monarchie qui jouerait ainsi sa survie. En étant à la tête de la revendication, celle-ci se pose comme garante des aspirations nationalistes des Marocains.

Du côté algérien, même si la question du Sahara occidental n’est pas déterminante pour la survie du régime comme chez son voisin, les généraux en font aussi une affaire d’honneur national. L’Algérie ayant décidé de soutenir le Front Polisario en 1975, elle s’en tient à cette position quoi qu’il en coûte. Durant les années 1960-1970, l’Algérie se réclamait du socialisme et craignait que l’Europe et les États-Unis n’utilisent le Maroc pour renverser le régime « anti-impérialiste » dirigé par Houari Boumediène. Celui-ci a cherché à mettre en difficulté la monarchie marocaine, espérant un coup d’État militaire que soutiendraient les partis de gauche – et qui ferait ainsi basculer le Maroc dans le camp anti-occidental. Mais Hassan II a su éviter le piège en assumant les revendications nationalistes des partis de l’opposition qui, affaiblis par cette stratégie du roi, n’ont pas eu d’autre choix que de soutenir ce dernier. Le calcul de Boumediène a donc eu le résultat contraire de l’objectif recherché.

Les raisons de l’impasse

En termes de relations internationales, la persistance du conflit du Sahara s’explique par trois raisons majeures.

D’abord, les pays de la région sont toujours en butte avec les contradictions de la construction nationale et de la stabilisation des frontières. Le nationalisme, encore jeune, semble être à la recherche d’adversaires pour souder la population autour du pouvoir central. Né contre la France coloniale, le nationalisme algérien se sent menacé par le Maroc, représenté par une monarchie accusée d’être féodale et, surtout, « d’asservir les frères Marocains ».

Quant au nationalisme marocain, il semble plutôt obéir à la logique segmentaire, se méfiant des « cousins Algériens ». Les deux peuples, à l’issue du combat qu’ils ont livré contre la domination coloniale, ont créé deux États-nations idéologiquement et culturellement très similaires, mais rivaux sur le plan politique. Leurs relations sont donc marquées par la logique westphalienne qui fait des États des unités prêtes à se déclarer la guerre s’ils estiment que leur sécurité est menacée.

Ensuite, après cinquante années d’indépendance, les économies des deux pays restent encore sous-développées et très liées au territoire – attribut de puissance et source potentielle de richesses naturelles. La richesse du Maroc provient de l’agriculture, des matières premières, du tourisme et de quelques industries manufacturières. L’extension du territoire vers le Sahara occidental est susceptible d’accroître le PIB par la disponibilité d’importants gisements de phosphates et, peut-être dans le futur, d’hydrocarbures.

Quant à l’Algérie, sa principale richesse provient précisément des hydrocarbures enfouis dans les territoires du Sud. Par conséquent, la compétition pour le territoire est une compétition pour plus de puissance. Dans ces conditions, pour le Maroc comme pour l’Algérie, avoir un voisin moins puissant est un gage de sécurité.

Enfin, l’Algérie et le Maroc ont très peu d’échanges économiques, ce qui leur permet de s’ignorer. L’économie de l’un ne dépend pas de celle de l’autre et leurs politiques étrangères respectives se construisent en dehors des pressions des milieux économiques nationaux. Malgré les liens historiques entre les deux pays, les flux de biens, de personnes et de culture demeurent très faibles. Les deux États ont délibérément empêché que des relations s’établissent entre la population des deux pays, et les générations nées après les Indépendances ont été élevées à l’ombre de discours officiels dénigrant leurs voisins.

Dans un monde où les guerres se remportent maintenant avant tout sur le terrain diplomatique, le conflit sahraoui est donc enlisé dans une logique westphalienne anachronique. Il risque ainsi de durer encore longtemps.

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