1.Mezri Haddad, n'ayons pas la mémoire courte, est celui qui a chanté les louanges de Ben Ali, jusqu'au 13 janvier 2011. Quel miracle qu'il se rallie aujourd'hui au mouvement de "rectification" du processus de la révolution déclenché le 25 juillet.
2. Je n'ai aucune filiation de paternité avec la constitution de 2014. Le projet de constitution qui a été préparé par la Haute instance de la révolution a été rejetée par l'Assemblée nationale constituante (théorie de la feuille blanche de Habib Khedher). Personnellement, je n'ai pas cessé d'écrire, d'alerter et de mettre en garde contre les vices de la constitution de 2014.
3.Le véritable problème du « philosophe », c'est ce que j'ai osé écrire dans mon livre « une révolution en pays d'Islam » (page 26 de la première édition tunisienne) et dont je reproduis intégralement le passage qui lui est resté en travers de la gorge.
"Les regards embués par la force des apparences trompeuses, nous ont légué des ouvrages qui nient la Révolution, comme ceux de Hédi Daniel ou de Mezri Haddad... Pardonnons au poète et passons au "philosophe" qui partage globalement le même point de vue. Dans un ouvrage anecdotique dans lequel se mêlent autobiographie et autojustification, Mezri Haddad a présenté la Révolution sous les traits d’un évènement programmé et forcé, dont les acteurs cyberdissidents apatrides, confortablement installés derrière leurs claviers, envoyaient les jeunes et pauvres déshérités « pavlovisés », « réduits à des moutons de Panurge ou à des idiots utiles » , se faire tuer par la police, pour faire tomber le régime.
Ces cyberdissidents étaient eux-mêmes manipulés par des forces externes, néoconservatrices, agissant dans le cadre du plan stratégique de Grand Moyen Orient, par l’intermédiaire des réseaux sociaux et centres de formation américains plus ou moins contrôlés par la CIA et par un média qatari, al Jaziraa . Cela seul expliquerait qu’une révolte populaire spontanée et légitime ait pu se transformer en un mouvement politique insurrectionnel et révolutionnaire.
La Révolution serait donc un accident de parcours, quasiment antinational, rendu possible grâce à l’assistance technique, logistique et financière des USA. L’aversion soi-disant « philosophique » de l’auteur à l’égard des révolutions, pour la raison qu’elles sont souvent porteuses de despotisme ou d’anarchie, ignore leur portée aussi souvent libératrice et fondatrice.
Cette thèse qui s’appuie sur des faits avérés (rôle des cyberdissidents, invention de la gifle policière, légende du jeune martyr « diplômé »), repose cependant sur des contradictions et pèche par excès de systématisme. Il est en effet contradictoire de relativiser le caractère autonome, populaire et national de la Révolution, et d’un autre côté avouer que les États-Unis « l’ont juste conjecturée, provoquée et accompagnée » et qu’en définitive elle « est bel et bien une révolution ».
Mais alors, en définitive, qu’est-elle ? Révolution ou « intelligence avec une puissance étrangère » ? Par ailleurs, si le rôle joué par les internautes et leur marquage idéologique ne peut être contesté, si les techniciens de Facebook en Californie ont sécurisé les réseaux sociaux le 10 janvier 2011 ou si le gouvernement américain est intervenu aussi bien pour défendre la liberté d'Internet que pour condamner l'utilisation de la force, il est erroné de croire que ces facteurs ont constitué l’élément déterminant dans le déclenchement et la réussite de la Révolution.
Tout d’abord, dans les deux régions de Sidi Bouzid et Kasserine, foyers de la Révolution, le taux de branchement des foyers au réseau internet ne dépassait pas 10% et les protestataires n’ont pu l’exploiter dans le déclenchement de la Révolution. Par ailleurs, les partis traditionnels de l’opposition qui avaient déjà constitué un front commun en 2005, l’UGTT, les organisations corporatives nationales, la Ligue tunisienne des droits de l’homme, les mouvements féministes et l’ensemble de la société civile tunisienne démocratique ont joué un rôle bien plus considérable que celui des internautes dans le processus révolutionnaire. Et ce sont ces forces qui ont maintenu le cap démocratique tout au long des années qui ont suivi la Révolution, jusqu’à l’adoption de la nouvelle Constitution en janvier 2014, suivie par les élections législatives et présidentielles d’octobre et novembre 2014.
La Haute instance de protection de la révolution, la revendication d’une Assemblée nationale constituante librement élue ne doivent rien à une quelconque influence étrangère, de quelque nature qu’elle soit. L’alternance au sein de la démocratie tunisienne prouve non seulement le caractère essentiellement national du processus, mais, au surplus, anéantit cette thèse maximaliste du complot islamo-néoconservateur".
Conclusion : sachons distinguer les amis et les ennemis de la révolution. Et méfions-nous surtout des caméléons.