Qu’ils se rendent à certaines élections ensemble en Espagne, ou qu’ils soient mélangés dans le même parti de droite en Argentine, cela n’autorise pas à affirmer qu’« elles sont pareilles » : la droite libérale et celle des auto dénommés « libertariens », ce n’est pas la même chose. Elles ont des traditions et des références différentes, et certainement la première est très bien connue, tandis que la seconde s’est installée au niveau mondial seulement au cours de la dernière décennie, et en Argentine il y a à peine quelques années.
Dans une émission récente sur Public TV, une mexicaine membre de la Fundación Libertad (qui a donné plusieurs conférences en Argentine, en présence de personnalités telles que Vargas Llosa) était interrogée, et s’est chargée de faire la lumière très clairement : elle a signalé les dits libertariens comme des « infiltrés ». Quant à l’hypothèse que ces derniers sont des nouveaux venus dans un domaine que les libéraux croyaient déjà avoir occupés, et -en plus- qu’ils s’approprient des étendards qui appartiennent aux libéraux, comme le libre marché.
Les deux tendances sont favorables à l’économie privatiste. Elles supposent que l’État n’est pas celui qui garantit un équilibre minimum d’appropriation égoïste, mais celui qui empêche les prétendues propensions « naturelles » du marché à l’efficacité et à la justice, dans le sens où celui qui mérite le plus, obtient plus (¿ ?). Mais puisque telle fut la position des néolibéraux, le fait qu’une idéologie différente apparaisse maintenant en brandissant le même étendard sonne pour les premiers comme un vol et un rapt illégitime.
La première droite on la connaît déjà : c’est celle des coupes budgétaires et de la privatisation, celle des gourous de l’économie, celle qui a prévalu dans les années 1990 avec la mondialisation. Depuis le « Consensus de Washington » imaginaire, ils ont subordonné les économies nationales au flux internationalisé et aveugle des capitaux, ils ont brisé les barrières que les États nationaux mettaient à l’expansion permanente du profit, et ils ont proposé la démocratie formelle comme espace de représentation.
Cette démocratie « semblait suffisante » après les terribles périodes de dictatures et d’instabilité en Amérique Latine. Mais le fait que les partis traditionnels ne signifiaient plus rien - ils ont tous fait la même chose depuis les années 1990 - a vidé la politique de son sens, a tout laissé entre les mains des élites et des experts, et a défait les identités des partis et les croyances qui y étaient attachées, conduisant à une crise grave de représentation.
De là sont nés les gouvernements nationaux/populaires latinoaméricains du début du XXIe siècle, qui ont fortement secoué la somnolence néolibérale, au point qu’à Washington ils se sont consacrés à formater en réaction une nouvelle forme de coup d’État institutionnel, comme le « Lawfare » ou coup d’Etat médiatico-judiciaire appliqué en Equateur, au Brésil, en Bolivie et en Argentine, en plus d’avoir été tenté de diverses manières au Venezuela.
Ce droit nouvellement créé est une réponse à cette réalité des gouvernements nationaux/populaires, il s’oppose à eux fortement. Mais aussi aux gouvernements néolibéraux car bien qu’ils aient les mêmes adversaires (la gauche et le populaire), les « libertariens » émergent face au vide de crédibilité des élites politiques issues de la mondialisation.
Un appel au plébéien et à « l’anti-système » des dits libertariens, les confronte aux politiques des droits de l’homme et du genre, comme cela est le cas maintenant avec les politiques de prise en charge en cas de pandémie. Au nom d’une liberté propre à un individualisme fermé et solipsiste, ils parviennent à récupérer la tension et l’identité en s’adossant aux drapeaux argentins, et non plus aux croix gammées que certains d’entre eux - se souvenir de Biondini - ont pu arborer. Avec un appel à rejeter le système politique, ils apparaissent comme des rebelles, comme l’a souligné Stefanoni [1]. Et avec un appel à la liberté, ils semblent brandir un principe précieux pour tous.
Ce sont des autoritaires sans État, comme l’a bien dit Leandro Santoro : ils sont presque un mystère théologique. Bien sûr, ils parient sur la prise de contrôle de l’État dans le style Trump ou Bolsonaro. Mais il faut éviter naïvement de croire qu’eux seuls sont brutaux : il faut bien étudier les deux tendances, car - par exemple - l’expansionnisme atlantique [US & Co] est plus le propre des globalisateurs que des libéraux/autoritaires : Biden a largué des bombes en Syrie, où Trump avait cessé de le faire.
De même, il faut se méfier du néo-autoritarisme déguisé, typique de la nouvelle droite : la première droite continue d’être désastreuse, celle-ci ne l’est pas moins et atteint beaucoup « ceux d’en bas ». Il faudra les démasquer, montrer leur haine totale des migrants, des politiques de genre, de la défense des droits humains.
Et soyons clairs, si des libertariens ont été partie prenante on devrait honorer leur nom. Mais on ne les a jamais vus le 24 mars, ni contre la dictature. Et ceux d’entre nous qui aiment la liberté veulent avoir celle d’avoir un chez-soi, celle de consommer, voyager, tout ce qui peut être atteint seulement si l’État est en charge de redistribuer le revenu social général. Contrairement à ce que Friedman avait l’habitude de dire, le libre marché et la liberté s’entendent très mal : pour le libre marché, les crimes dictatoriaux ont été perpétrés, à la fois par Pinochet et Videla.