En feuilletant ce samedi matin un vieux carnet de notes personnelles, me voilà surpris, positivement, yeux écarquillés, de comprendre que Ahmed Mestiri, voilà de cela 77 ans, est rentré, clandestinement en 1942, en guerre pour le respect de la dignité tunisienne, sa lutte contre l’occupant , et pour son indépendance , libre , seule responsable de son destin , voilà de cela , oui ! , 77 ans ! Bien plus qu’un trois quarts d’un long siècle !
IL avait alors 17 ans, rejoignant la cellule destourienne de la Marsa, avec Taieb Mehiri et d’autres ... De nos jours, Ahmed Mestiri est le dernier Historique de cette époque glorieuse, avec Ahmed Ben Salah, un autre parcours, encore vivants. Mais Ahmed Mestiri, cible ratée de la main Rouge, c’était la période de l’assassinat de Farhat Hached, n’a jamais quitté la modestie de sa maison marsoise. Resté égal à lui-même, par les temps glorieux, jouant les premiers rôles, ô combien difficiles .IL est l’un des bâtisseurs importants de cette Tunisie devenue exemplaire, rayonnante, étonnante, jalousée, dans le concept arabe, celle de plus de justice sociale, de l’éducation pour tous, et des Droits des Femmes.
Mais de celui qui a été un grand ministre de l’Intérieur, de la Justice, de La Défense, ambassadeur dans des villes aussi importantes que Le Caire, Alger, Moscou, membre important des Bureaux politiques du Néo Destour, devenu PSD, je retiens une seule date : Octobre 1971, 8 -ème Congrès du PSD à Monastir ... Et à ce jour, cette date me trouble encore. Elle aurait pu, dû, changer d’avantage le destin de la Tunisie, telle que nous la rêvions. Respectée dans le monde civilisé, elle l’était, digne, elle l’était, allant vers plus de justice sociale, elle l’était ... Mais ses libertés individuelles, ou collectives, l’étaient nettement moins.
Là, dans ce « Monastir 1 », Ahmed Mestiri et d’autres ont voulu prendre le chemin de vouloir desserrer l’ordre des décisions uniques, du parti unique infaillible, de l’autorité unique. Et le triomphe de cette thèse, de plus de libertés, l’a été sans équivoques, dans ce Monastir de l’Espoir.
De ce triomphe, vers plus de libertés démocratiques, est né, d’après moi, le plus grand malentendu historique de l’après Indépendance. Bourguiba était incontestable, et rares au PSD, qui lui conteste le rôle exceptionnel d’avoir conduit le pays à sa libération, puis à sa construction, vision d’un homme à poignes, éclairé. Mais dans le triomphe, des idées de plus de libertés du Groupe 1971, Ahmed Mestiri, Bahi Ladgham, Béji Caïd Essebsi, Habib Boularès et d’autres, Habib Bourguiba, a eu le sentiment que ce mouvement voulait le mettre en voie de garage et de départ. D’où le malentendu monumental de cette période, et qui a conduit la Tunisie en marche arrière vers plus de durcissements, un entourage à Carthage devenu plus zélé, suggérant à un Bourguiba, fragilisé, d’être nommé, tristesse, Président à Vie.
Depuis, Ahmed Mestiri, pour sa vision courageuse, son ouverture d’esprit, a connu les exclusions, les radiations, l’exil intérieur. Mais il est resté debout, dans sa modeste fierté, de celui qui n’a pas dévié de sa morale, quoi que cela coûte. J’ai eu la chance de le voir plusieurs fois dans ces périodes difficiles, dans l’étroitesse de son cabinet d’avocat, ou en promenades à la Marsa. Jamais aigri, sans se départir de ses idées moralement propres, sans excès, ni démagogie.
De Monastir 1, puis 2, « la Gloire et la déchéance », il m’est resté, ce malentendu total. Ahmed Mestiri a l’étoffe, l’esprit, la tête pleine, les idées saines, ordonnées d’un Homme d’État, mais il n’a jamais pensé, ma profonde conviction, se substituer à Bourguiba. Autre malentendu, inversé, Bourguiba a pensé que Ahmed Mestiri, était trop pressé de lui succéder, et je voudrais apporter, à cette discussion entre nous, un témoignage rare. J’ai eu la chance, celle de mon ex-métier de journaliste, d’avoir rencontré Wassila Ben Ammar ou Wassila Bourguiba, une quinzaine de fois, à Paris, dans les six mois précédents son décès. Et nous discutions librement de tout. Elle m’a dit qu’une fois, dans les années 80 , lorsque Ahmed Mestiri , a pris sa liberté , plutôt fut éloigné pour ses idées et convictions , du PSD et à déjà formé , son propre parti , le MDS originel , du courant démocratique , qu’ il fut un grand vainqueur , volé , des élections de 1981 , et son fameux « J ´ Accuse », Bourguiba , lui a dit , à Wassila , dans leurs conversations privées , qu’ il a regretté cette séparation injuste , fomentée par les ultras , et qui ont fini par en faire leur otage . Mais dans nos pays, la fierté, fait souvent obstacle au mea-culpa plus ou moins public. Et chacun part, avec ses remords et secrets, et laissant les malentendus, seuls, en vie …
Je n'ai jamais cessé d’être Bourguibiste, convaincu, les yeux ouverts sur certaines failles. Cela est arrivé partout aux plus Grands. Je reste aussi conscient, que la chance manquée de 1971, nous aurait conduit à un autre destin. Que la Tunisie, grâce à des hommes de valeur, d’honneur, tel Ahmed Mestiri, serait de nos jours dans un état bien meilleur.... Sans Coup d’État, médical, de 1987, ou manipulations étrangères de 2011, pour ouvrir un boulevard aux nouveaux conquérants, et leurs visions d'ailleurs.
Au début de la « Révolution » 2011, Ahmed Mestiri, alors 86 ans, a été une cible choisie d’Ennahdha, et ses illusions, d’avoir voulu le récupérer, en faire un de ses miroirs trompeurs. Prestige oblige, mais cruel malentendu. Le mouvement de Ghannouchi, et Ahmed Mestiri, n’ont pas la même conception, compréhension, du même Islam …
Je payerais cher de nos jours, pour savoir, ce que pense, Ahmed Mestiri, retiré de la Politique, de l’État actuel, dégénéré, du pays, dont il a été un des plus importants bâtisseurs. Comme c’est un homme de vision historique, de perspectives lointaines, il pourrait nous nourrir de cet espoir que les États ont des cycles de progrès ou de déchéances …
Nous voilà en période(décembre) des Vœux 2020 ... Que Ahmed Mestiri, reste parmi nous, tel un phare d’une mer agitée, nous contemporains, de cet exemplaire modeste, de fragile santé, un si Grand Monsieur.