Outre les arguments pertinents développés par ailleurs, il est une autre conséquence que l’article 5 du projet de constitution dans sa double version du 30 juin et du 8 juillet induit inévitablement et nécessairement : il annule, saborde et met fin à l’évolution de la jurisprudence tunisienne. Il met fin à l’œuvre constructive des juridictions tunisiennes dans leur interprétation de ce qui sera l’ancien-défunt article 1er des constitutions de 1959 et 2014.
Après des années d’hésitations, la justice tunisienne a fini par renoncer à la thèse de la confusion entre religion et législation, se référant au fiqh ou à la charia dans l’interprétation et l’application du droit positif et singulièrement du CSPL.
Les juges tunisiens se sont ralliés de façon constante depuis la fin des années 1990 à la thèse de l’autonomie du droit étatique. La religion, l’islam en tant qu’il est foi ou système de normes n’est plus opérant dans la compréhension des textes du droit positif (le mariage d’une musulmane n’est pas interdit par la loi, la disparité de culte n’est pas un empêchement à l’héritage, les répudiations prononcées à l’étranger ne sont pas reconnues etc.).
Les juges se sont appuyés pour ce faire sur les principes fondamentaux retenus en droit interne et notamment le principe d’égalité, sur les conventions internationales pertinentes ratifiées par la Tunisie et sur les principes universels des droits de l’homme.
La révolution n’a pas été l’occasion d’une remise en cause de cette orientation puisque les décisions rendues au plus haut niveau de la hiérarchie judiciaire (Cour de Cassation) confirment le détachement du droit de l’emprise religieuse.
Il n’en sera plus de même avec le nouvel article 5, puisque la justice n’est plus qu’une fonction et non un pouvoir. Une fonction étatique, subordonnée, qui se doit de mettre en œuvre les finalités de la religion et donc ses prescriptions, le juridique se fondant dans le religieux.
Ainsi le passéisme n’est plus seulement une tentation, il est à l’œuvre.