Le journaliste(La Presse a publié le 19 janvier 2023 un article au sujet de la BFT qui déclare : « L’ancienne présidente de l’Instance vérité et dignité, Sihem Bensedrine, est sur le banc des accusés. » ) s’est probablement trompé d’accusés et voulait sans doute faire référence à la trentaine d’inculpés responsables des banques de la place et de la Banque centrale qui ont été cités à comparaître le 16 janvier 2023 devant la chambre criminelle spécialisée en justice transitionnelle sur la base de l’acte d’accusation N°35 relatif à la corruption bancaire.
Il s’agit de hauts responsables du monde de la finance dont les dossiers ont été instruits par l’IVD et transférés pour leur implication dans des actes de « Trafic d’influence, collusion dans la malversation, abus de position, abus de confiance dans la gestion des fonds publics, risques portés par la Banque centrale Tunisienne dans la solvabilité de l’Etat et la stabilité du système financier national », selon l’acte d’accusation. L’affaire de la BFT a une position centrale dans cet édifice de corruption bancaire qui dure depuis 38 ans et qui a engendré « une détérioration du climat des affaires et impacté négativement l’investissement, produisant une chute continue du rang de crédit souverain de la Tunisie par les agences de notation, jusqu’au rang de pays à haut risque d’investissement », selon le rapport final de l’IVD que l’on veut « dépublier » du Jort.
Pour l’occasion, le leitmotiv de la prétendue falsification du rapport final refait surface. Or, il se trouve que cet acte d’accusation, qui a été transféré avant la remise du rapport au Président de la République, est conforme aux conclusions du Conseil de l’IVD et reprend exactement les mêmes termes figurant dans le rapport final; éléments que certains prétendent rajoutés par la présidente de l’IVD dans la version du rapport publié au Jort en juin 2020, un mensonge aisément vérifiable.
Le plus surprenant, c’est que le journaliste reprend, à son compte, les conclusions de l’IVD publiées dans son rapport final dans le volume consacré à la corruption et notamment à la page 57, sans pour autant pointer les vrais auteurs de ces violations.
Hasard du calendrier, le 17 janvier 2023, la campagne médiatique contre l’IVD se déclenche. Faut pas toucher aux magnats de la finance ! C’est cela en vérité le « crime » reproché à l’IVD. Et c’est ce qui explique pourquoi monsieur Baâzaoui, l’ancien membre de l’IVD révoqué, sort du chapeau du magicien, faute de mieux, la carte de la nahdhaouie Abdellatif n’est plus de mode pour donner le change.
Le jugement favorable du Tribunal administratif — que je respecte — ne saurait expliquer l’exceptionnelle couverture médiatique dont il eut le privilège durant une quinzaine de jours, une faveur non dévolue aux 45 juges démis par la ministre de la Justice, Leïla Jaffel, et bénéficiant, comme lui, de jugements favorables du TA. Rappelons que le Conseil de l’IVD (et non la présidente qui n’avait pas cette compétence légale) l’avait révoqué pour absentéisme (art 37 de la loi) en octobre 2016 et non pour une quelconque divergence.
De son propre aveu, il reconnaît que sa présence au sein de l’instance n’était pas motivée par une adhésion loyale aux objectifs assignés par la loi mais par des mobiles partisans. Il ne dissimule pas sa fierté d’avoir entravé l’action de la commission de vérification fonctionnelle prévue par l’article 43 de la loi qui doit « présenter des propositions en vue de filtrer l’administration et tous les secteurs nécessitant un filtrage ». Il aurait bien du mal à prouver qu’il n’y ait jamais eu une liste préétablie, car c’était à lui, en tant que président de cette commission, qu’il revenait de la présenter au Conseil sur la base des preuves recueillies et il s’est ouvertement opposé à cette mission. Et, comme les partisans de la dictature, il entretient l’amalgame entre la nécessité de préserver l’Etat au service de tous ses citoyens, et celle de mettre fin à son instrumentalisation. S’il avait pris la peine de lire le rapport final de l’IVD, il se serait épargné le ridicule de ces mensonges :
– M. Abdelmajid Bouden, en sa qualité de plaignant, n’a bénéficié d’aucune décision de réparation financière de la part de l’IVD. (Voir registre des victimes p.660)
– L’IVD n’a jamais rendu de décision d’arbitrage dans l’affaire de la BFT et encore moins attribué la moindre décision d’indemnisation en faveur d’Abci.
– Bien que la réparation aux victimes soit une obligation légale de l’État tunisien, aucune des 29.950 victimes n’a été indemnisée à ce jour parce que le Fonds de la dignité chargé des indemnisations et créé par décret en 2018, dont l’alimentation se base essentiellement sur les dons, est bloqué à ce jour.
Si cette campagne prouve une chose, c’est que l’IVD a réussi dans son mandat tel que fixé par la loi en recommandant les réformes propres à démanteler le système despotique et à prémunir l’Etat de la corruption; mission accomplie par l’IVD dans son rapport final qu’on veut « dépublier » afin que les vérités qu’il contient soit effacées de la mémoire collective et les auteurs de violations blanchis par l’amnésie organisée. Ceux qui se prévalent de la défense de l’État cherchent, en réalité, à impliquer l’État dans un acte de falsification, jamais vu dans les annales de l’Imprimerie officielle.