Lotfi Madani n’est plus. Emporté à 70 ans par un satané cancer. À l’annonce de son décès, survenu le 10 novembre à Marseille, me reviennent pêle-mêle des images et des bribes de conversations de nos cafés sirotés ces dernières années à Marseille, Tunis et Alger.
Le Majestic
Notre dernier verre, nous l’avons pris au mois de juin à Tunis, sur la terrasse de l’hôtel Majestic. Cet endroit où l’on nous sert du pop-corn en apéro. Tu étais déjà attablé quand je suis arrivée. Tu portais sûrement une de tes chemises blanches immaculées, toujours parfaitement repassée, ou une chemise d’une autre couleur. Qu’importe. Ce qui est sûr c’est que tu t’habillais avec élégance en toute circonstance. Avec tes yeux bleus, le blanc et le lin, tu sentais bon l’été.
Le programme de nos vacances à venir a d’ailleurs fait partie de notre échange. Tout comme les nouvelles de nos familles, notamment de ta petite-fille dont tu t’occupais régulièrement. Mais la majeure partie de notre conversation a été consacrée à Ihsane El Kadi, ton ami de longue date par lequel nous nous sommes rencontrés à Alger en 2014 au sein d’Interface médias, la société éditrice des médias électroniques Maghreb Emergent et Radio M.
Depuis son emprisonnement en décembre 2022, tu étais activement mobilisé dans la campagne pour sa libération. Tu soutenais aussi vaillamment Radio M et Maghreb Emergent placés sous scellés au même moment où leur directeur Ihsane El Kadi était arbitrairement arrêté. Il faut dire que tu avais le sens du communiqué, un héritage de tes 18 années passées à la communication de la Banque africaine de développement (BAD).
Grâce à toi, j’avais des nouvelles fraîches d’Ihsane mais aussi des anciens collègues. C’était fantastique.
Dar El Jeld
C’est à Tunis encore, ta ville de résidence, que nous avons pour la première fois longuement discuté de ta carrière au sein de la radio algérienne dans les années 1980. Tu m’as parlé de ton père, le regretté Ali Madani, une célèbre voix de la chaîne III des années post-indépendance avec son émission d’apprentissage et de vulgarisation de la langue arabe « L’arabe par la radio ».
Tu as évoqué les émissions que tu as animées, les programmes que tu as initiés, les journalistes talentueux que tu as recrutés en leur faisant passer le fameux test-
voix. Confortablement attablés sur le magnifique toit terrasse du restaurant Dar El Jeld surplombant la Médina, tu m’as raconté diverses anecdotes dont j’ai oublié les détails à défaut de les avoir écrites ou enregistrées.
La Samaritaine
À Marseille où tu venais régulièrement rendre visite à ta maman, tu affectionnais le café La Samaritaine situé sur le Vieux-Port. Un bon samaritain, tu l’étais assurément, toujours là pour rendre service.
Tu as ainsi prêté ta voix grave et profonde aux premiers jingles des émissions de Radio M. Tu as présidé le jury du Prix Ali Bey Boudoukha du meilleur article d’investigation dès sa création en 2014 et à chaque édition en 2017, 2019 et 2021 ; ce prix initié par Interface Médias en hommage au journaliste Ali Bey Boudoukha, ton confrère et ami de la chaîne III, co-fondateur de Maghreb Emergent en 2010.
Tu as animé des émissions sur la situation politique en Tunisie dont l’Algérie suivait avidement l’évolution depuis la Révolution de 2011. Fin observateur et analyste, tu réussissais avec simplicité à expliquer l’actualité dans la région du Maghreb.
Tout cela et bien plus encore, gracieusement.
Les Danaïdes
Parfois, nous nous retrouvions plutôt en haut de la Canebière, aux Réformés. À la brasserie Les Danaïdes, tu commandais souvent un perrier tranche. À cette terrasse, j’ai découvert un autre épisode de tes multiples vies : celui d’enseignant-chercheur à l’Université d’Aix-Marseille dans les années 1990. Parmi tes objets d’étude : les transformations liées à la parabole dans les médias audiovisuels algériens.
Quand j’ai à mon tour entamé des recherches universitaires sur l’histoire des journalistes algériens dans les années 1980, tu as été d’une aide précieuse par les lectures et contacts que tu m’as indiqués. Tu m’as ainsi recommandé à ta sœur, Latifa Madani, ancienne journaliste à la chaîne III, dont le prénom, comme le tien et ceux de tes frères et sœurs, commence par la lettre « L ».
Cette fois-ci, j’avais réussi à t’inviter. Bessif. Ce fut l’une des rares fois.
Ta générosité, ta sagesse, ta sérénité vont nous manquer. Adieu cher Lotfi.