La militarisation du pouvoir en Afrique : une nouvelle ère autoritaire ?

Depuis 2020, le continent africain, en particulier l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, assiste à un phénomène inquiétant : la résurgence des régimes militaires. Ce qui aurait pu sembler ponctuel s’impose désormais comme une dynamique politique régionale. Le pouvoir armé ne revient pas par accident, il s’installe. Il ne surgit pas dans le vide, il prospère sur les décombres d’États minés par la corruption, l’impunité et l’illusion démocratique.

Du Mali à la Guinée, du Burkina Faso au Niger, jusqu’au Gabon, les putschs se suivent et se répondent. Chaque coup d’État nourrit le suivant, chaque junte puise sa légitimité dans celle qui l’a précédée. Ce n’est plus une série d’exceptions : c’est un nouvel ordre en formation. Plus qu’un retour en arrière, il s’agit d’un glissement assumé vers une militarisation des États, une confiscation du pouvoir au nom d’un prétendu renouveau national.

Officiellement, ces régimes se présentent comme des transitions. Mais dans les faits, ils modifient les constitutions, dissolvent les contre-pouvoirs, verrouillent l’espace médiatique, soumettent ou interdisent les partis politiques et emprisonnent ou neutralisent les opposants politiques. La promesse d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel est vite balayée, remplacée par un discours messianique sur la souveraineté retrouvée, la lutte contre les ingérences étrangères et la réinvention des institutions.

Ce récit flatte une opinion publique légitimement épuisée par des décennies de gouvernance civile sans alternance, gangrenée par les fraudes électorales, le népotisme et dans certains cas la soumission à des puissances étrangères. Mais ce que certains perçoivent comme une rupture salvatrice n’est bien souvent qu’un recyclage autoritaire sous uniforme.

La vérité est plus sombre : les militaires ne viennent pas réparer l’État, ils le militarisent. Ils ne viennent pas démocratiser les institutions, ils les placent sous tutelle. Ministères, conseils de transition, assemblées provisoires : partout, ce sont les généraux qui décident. Le langage martial remplace le dialogue politique. L’uniforme devient le dernier refuge d’une légitimité en faillite.

Et, fait inédit, ces régimes s’organisent. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont claqué la porte de la CEDEAO pour fonder l’Alliance des États du Sahel (AES), une coalition de juntes qui prétend incarner une nouvelle souveraineté. Derrière les discours sur l’autodétermination et le panafricanisme, c’est une réalité bien plus inquiétante qui s’impose : celle de régimes militaires qui s’auto-justifient, se protègent mutuellement et cherchent à s’ancrer durablement.

Cette stratégie s’accompagne d’un réalignement géopolitique clair : rejet de la France, ouverture à la Russie, à la Turquie, aux Émirats, ou à la Chine. Sous couvert de non-alignement, c’est souvent un opportunisme cynique qui prévaut, fondé sur la manipulation d’un sentiment anti-occidental réel, mais instrumentalisé à des fins de légitimation autoritaire.

Il faut dire les choses avec clarté : le drapeau de la souveraineté est aujourd’hui brandi par des régimes qui concentrent tous les leviers du pouvoir entre quelques mains, où la force militaire remplace le suffrage, et où l’unanimisme national est proclamé à coups de censures et de répression.

Mais l’échec ne réside pas seulement dans les casernes. Il remonte à ces régimes civils dits “démocratiques”, qui ont vidé les élections de leur sens, transformé le pluralisme en parodie, et trahi les idéaux d’alternance et de participation. La démocratie de façade a ouvert la voie aux dictatures en uniforme.

Faut-il dès lors se résigner à ce face-à-face entre deux impasses : la junte et la mascarade électorale ? Non. Refuser cette alternative mortifère, c’est justement redonner sens à la politique, à la citoyenneté, à l’État. Les peuples d’Afrique n’ont pas renoncé à la liberté. Ils ne veulent ni être gouvernés par des chefs d’état-major, ni manipulés par des pseudo-civils accrochés au pouvoir. Ils veulent des institutions crédibles, des dirigeants redevables, des droits garantis.

Car à long terme, la militarisation du pouvoir ne résout rien : elle exacerbe les crises qu’elle prétend combattre: insécurité, pauvreté, instabilité. Elle réduit les libertés, étouffe les débats, et bloque toute perspective de reconstruction démocratique.

Le combat à mener ne consiste pas à choisir entre deux formes d’autoritarisme. Il consiste à refonder un horizon politique africain basé sur la justice, la transparence, et la souveraineté populaire pas militaire.

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