Signaux d’alerte sur le chemin du « changement » en Argentine

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Imaginez qu’un candidat à la présidence des Etats-Unis se réunisse avec le gouvernement russe et le récrimine d’avoir été « trop soft » avec le président Obama. Un candidat qui a dit au ministre des Affaires Etrangères de la Russie qu’ « il est nécessaire de mettre des limites » à la « mauvaise conduite » de la Maison Blanche, et que le « silence » des russes au sujet « du mauvais traitement abusif dont a souffert [la Russie] » des mains du gouvernement Obama « a cautionné le fait que la même chose survienne encore ».

Les Usaméricains auraient-ils confiance dans un pareil candidat ? Certes, il s’agit d’une question rhétorique. Mais réelle en Argentine.

Mauricio Macri, entrepreneur de droite, appartenant à l’une des familles les plus riches du pays, est candidat aux élections présidentielles de ce dimanche. Selon des documents filtrés de l’ambassade des États-Unis d’Amérique, et publiés par WikiLeaks, telle fut la conversation qu’il a eu avec l’ambassadrice des États-Unis et le fonctionnaire du Département de l’État des États-Unis en charge de l’Amérique Latine. Il était très inquiet de ce que les Etats-Unis étaient « trop doux » avec l’Argentine, et que cela avait stimulé « un traitement abusif » envers les Etats-Unis de la part du gouvernement argentin.

L’analogie n’est pas parfaite, puisque l’actuel gouvernement russe n’a jamais joué un rôle important – ou réellement un quelconque rôle – pour détruire l’économie US et créer une grande dépression ici. Mais le Département du Trésor d’Etats-Unis, principal responsable des décisions du FMI pendant la sévère récession de l’Argentine entre 1998 et 2002, a exercé, de façon concrète, une énorme influence sur les politiques qui ont prolongé et ont approfondi cette récession. Les argentins ne gardent pas de rancune, mais ne veulent pas non plus que les Etats-Unis jouent, encore une fois, un rôle important dans la politique du pays ou dans ses politiques économiques.

Mais il y a d’autres raisons pour lesquelles les intentions de Macri – qui vont très loin – sont inquiétantes. Dans ses conversations avec les fonctionnaires des États-Unis, en 2009, il s’est référé aux politiques économiques des Kirchner – de Néstor Kirchner, président entre 2003 à 2007, et de son épouse, Cristina Fernández de Kirchner, élue en 2007 – comme d’« un modèle économique failli ». Macri a fait des déclarations similaires pendant la campagne électorale, et bien qu’il ait souvent été imprécis, il a indiqué qu’il souhaite quelque chose de très différent, quelque chose qui se situe clairement à droite de la politique économique actuelle.

Cela vaut la peine de jeter un œil à l’historique tant décrié des Kirchner, surtout parce que Scioli, qui est le candidat de Cristina Fernández de Kirchner et de son alliance Frente para la Victoria [Front pour la Victoria], représente une certaine continuité avec le kirchnerisme. La coalition de Macri se nomme Cambiemos [Changeons].

De 2003 à 2015, selon le FMI, l’économie réelle de l’Argentine (ajustée à l’inflation) a augmenté de à peu près 78 % (il existe un désaccord sur ce chiffre, mais pas suffisant pour qu’il change la perspective de ce qui a été atteint). Cela signifie une forte progression des niveaux de vie, l’une des plus grandes en Amérique. Le chômage est tombé de 17,2 % à 6,9 % (FMI). Le gouvernement a créé le plus grand programme du continent de transferts monétaires sous condition pour les pauvres. De 2003 à la deuxième moitié de 2013 (selon les dernières statistiques indépendantes disponibles), la pauvreté a été réduite de 70 % et l’extrême pauvreté de 80 % (ces chiffres sont basés sur des estimations indépendantes de l’inflation).

Mais ces données ne décrivent pas l’ampleur des réussites. Comme je l’ai signalé dans mon livre, « Echecs : en quoi se sont trompés les ’experts’ au sujet de l’économie mondial » (« Failed : What the ‘Experts‘ Got Wrong About the Global Economy », aux Oxford University Press, 2015), Néstor Kirchner a assumé la présidence tandis que l’économie commençait à se sortir d’une grave dépression, et il a fait preuve d’une grande ténacité et de courage pour faire face au FMI et à ses alliés, pour négocier un niveau soutenable de dette extérieure (ce qui signifiait suivre le plan de ne pas payer la dette), et a mis en application un des ensembles politiques macroéconomiques qui allaient permettre cette récupération remarquable. Cela fut semblable au leadership que le président Franklin D. Roosevelt a eu pendant la Grande Dépression des Etats-Unis, et aussi comment Roosevelt, a eu contre lui la majorité des professionnels de l’Économie, ainsi que les médias. Cristina Fernández de Kirchner a eu aussi à mener une série de batailles pour continuer sur la voie du progrès économique de l’Argentine.

Durant les quatre dernières années, la croissance s’est ralentie, l’inflation a augmenté, et un marché noir du dollar s’est développé. Certains de ces faits sont dus à une série de chocs externes défavorables : l’économie régionale a une croissance négative (celle de l’Argentine est légèrement positif) ; le plus grand associé commercial de l’Argentine, le Brésil, se trouve en récession et a vu s’effondrer sa monnaie ; et en 2014 un juge de New York, à la compétence discutable, a pris la décision politique de bloquer le paiement de la dette de la part de l’Argentine à la majorité de ses créanciers. Ainsi, malgré les antécédents de 12 ans de kirchnerisme, une grande augmentation des niveaux de vie et de l’emploi, plus une réduction notable de la pauvreté, des problèmes importants qui ont besoin d’être corrigés demeurent.

En 1980 Ronald Reagan a postulé à la présidence des États-Unis au milieu d’une récession et d’une inflation qui dépassait 13 %. Il a aussi promis un changement, et il l’a fait – et il a marqué le commencement d’une ère d’augmentation prononcée de l’inégalité, avec d’autres malheurs sociaux, politiques et économiques à cause desquels les Etats-Unis souffrent encore. Il suffit de voir son orgueilleuse lignée politique dans les débats présidentiels républicains. Il est possible que Macri manque du talent d’acteur et de communicateur d’un Reagan pour pouvoir radicalement transformer l’Argentine, et inverser la plupart de réussites de ces 13 dernières années. Mais il semble probable que compte tenu des intérêts qu’il représente, en plus de son orientation politique, ceux qui vont supporter la pire partie de l’ajustement économique qu’il prévoit, ce sont les pauvres gens et les travailleurs de l’Argentine. Et il existe un risque important qu’ après avoir mis en application « des solutions » de droite, se mette en marche un cycle contre-productif d’austérité et de récession, du type de celui que nous avons vu en Grèce et dans l’euro zone.

Les Kirchner ont aussi révoqué l’impunité des fonctionnaires militaires responsables de la torture et des assassinats de masse de la dictature ; et des centaines d’entre eux ont été jugés et condamnés pour leurs crimes. Macri a mésestimé ces avancées sans précédents en matière de droits de l’homme, en les traitants de simple spectacle politique. Son parti a aussi voté contre le mariage égalitaire, qui a été approuvé largement, faisant de l’Argentine le premier pays de l’Amérique Latine à légaliser le mariage entre des personnes du même sexe.

« Cambiemos , « Changeons », est un slogan attractif, mais la question est : « un changement mais vers quoi ? »


*Mark Weisbrot il est co-director du Center for Economic and Policy Research à Washington, D.C. Et il est aussi président du Just Foreign Policy et editorialiste dans le The Guardian de Londres. Il a co-écrit le film de Oliver Stone South of the Border Film entier VO sub esp. Extrait 4’ en VOSTFR Au sud de la frontière.

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