Partis Politiques, Démocratie et Transparence

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La relation entre partis politiques et démocratie semble univoque. L’existence de nombreux partis est considérée comme un symptôme du bon fonctionnement démocratique. Partant de cet axiome on extrait la prémisse suivante. La démocratie est un jeu entre partis, son objectif consiste à se disputer des postes d’élus pour pouvoir gérer les deniers publics et contrôler les décisions qui déterminent le processus socio-économique à l’intérieur du capitalisme. Cette définition minimaliste du rôle des partis politiques et de la démocratie comme processus électoral en vue d’élire des gestionnaires a progressivement gagné du terrain sur la conception des partis politiques comme constructeurs d’alternatives et défenseurs de la démocratie, en tant que pratique plurielle de contrôle et d’exercice social du pouvoir s’appuyant sur les principes du bien commun, de la dignité et de l’éthique.

Tous les partis ne sont pas démocratiques. Une idée de l’homme politique comme serviteur de l’Etat, en marge des valeurs éthiques, des idéologies et des principes, s’est développée. Une nouvelle génération réclame la passation des pouvoirs et se projette comme élite politique du changement et de la régénération. Ils se définissent comme étant des jeunes dotés de qualités jusque là méconnues. Ils se considèrent comme des élus du fait de leurs connaissances – des aristocrates du savoir ? CV brillant, doctorats dans des universités privées, polyglottes, entrepreneurs, experts en réseaux sociaux et informatique. Ils s’autoproclament « la génération des mieux formés » de toute l’histoire. Le pouvoir leur appartient, ils se transforment en commandants-chefs de la lutte contre la corruption et pratiquent la politique de la transparence. Ils l’exigent afin de mettre à nu les pratiques des hommes politiques de la guerre froide.

Dans son essai « Psycho-politique. Néolibéralisme et nouvelles techniques du pouvoir », Chul-Han, l’un des philosophes les plus créatifs de ce siècle, explique ce que signifie cette exigence de transparence dans le monde actuel : « Revendiquer la transparence présuppose de se placer comme spectateur scandalisé. Il ne s’agit pas de la revendication d’un citoyen prenant des initiatives, mais de celle d’un spectateur passif. Sa participation se fait sous forme de réclamation et de plainte. La société de la transparence, qui est peuplée de spectateurs et de consommateurs, instaure une démocratie de spectateurs ».

La société de la transparence n’a pas de couleur. Les couleurs ne sont pas admises en tant qu’idéologies mais seulement en tant qu’opinions exemptes d’idéologie, privées de conséquences. C’est pourquoi, on peut sans problèmes changer d’opinion. Un jour je dis « dis », le lendemain je dis « Diego » et le surlendemain je dis ni « dis », ni « Diego », mais « Pedro ».

Depuis la démocratie informatique de consommation selon Twitter et Facebook, on parle de générations amorties et jetables. C’est dans ce contexte qu’apparaissent des partis politiques qui rejettent tout lien avec la droite ou la gauche. Leurs noms sont ambigus et gélatineux. Ils font référence à des comportements supposant l’effort individuel, résultant de la volonté de chacun. Il faut être positif. Dans la plupart des cas, il s’agit de partis attrape-tout. En Espagne, ce sont : Ciudadanos (Citoyens), Podemos (Nous pouvons), Unión Progreso y Democracia (Union, Progrès et Démocratie). La même chose se produit dans la plupart des pays. Ils ont un trait en commun : leur obsession de la transparence.

Cependant, la transparence n’est possible que dans un espace dépolitisé. C’est pour cela qu’ils sont la face aimable du néolibéralisme de deuxième génération. Ils remplacent les partis socio-démocrates et de centre-droite. Rien à voir avec Syriza, la coalition grecque de gauche radicale. De nouveau, dans son ouvrage « La société de la transparence », Byung Chul Han, évoque sa signification dans le néolibéralisme :

« Les choses deviennent transparentes lorsqu’elles abandonnent toute négativité, lorsqu’elles se polissent et s’aplanissent, lorsqu’elles se coulent sans résistance dans le torrent calme du capital, de la communication et de l’information. Les agissements deviennent transparents dès lors qu’ils sont opérationnels, qu’ils se soumettent aux processus de calcul, de direction et de contrôle. (…) Les choses deviennent transparentes lorsqu’elles sont dépouillées de leur singularité et qu’elles se définissent entièrement en termes de prix. L’argent, qui permet de tout comparer avec tout, efface toute trace d’incommensurabilité, toute singularité. La société de la transparence est un enfer où tout est semblable. (…) La transparence stabilise et accélère le système du fait qu’elle élimine ce qui est différent ou étrange. Cette coaction systémique transforme la société de la transparence en une société uniformisée. C’est en cela que réside son caractère totalitaire ».

Ainsi donc, la transparence dont ils se pavanent ne dit rien de la démocratie. Dans leurs revendications, ils ne réclament pas de transparence concernant le comment, qui et combien sont ceux qui participent à la prise de décisions, à l’établissement de l’agenda et à l’affectation des postes. Ils réclament seulement de la transparence concernant l’argent. Combien gagne un élu ? Combien a-t-il sur son compte en banque ? Quels biens immobiliers possède-t-il ? Où passe-t-il ses vacances ? Qu’achète-t-il ?

Tout ceci est sans doute nécessaire, mais c’est insuffisant et nullement significatif. La transparence concernant l’argent ne fait pas la démocratie et ne génère pas une société plus libre et plus participative. Elle exploite simplement ce qui est visible au point de convertir la transparence du capital en une réalité obscène. Son éventuel succès risque de miner le futur d’un véritable projet démocratique, fondé sur la participation, la médiation, le dialogue, la négociation et la représentation. Les contradictions disparaissent si l’on nie le conflit. Souhaitons leurs au contraire la bienvenue !


* Marcos Roberto Roitman Rosenmann est un académicien, sociologue, analyste politique et essayiste chilien, né à Santiago du Chili en 1955. Depuis 1974, il habite en Espagne. Docteur en Sciences Politiques et Sociologie. Il est professeur de Structure sociale latinoaméricaine, Structure sociale contemporaine et Structure sociale espagnole à la Faculté des Sciences Politiques et de Sociologie de l’Université Complutense de Madrid.

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