Depuis 1979, l’énorme poids du silence dans les discours électoraux et l’absence de définition pèsent sur les campagnes des projets néolibéraux. La clé n’est pas ce qui est dit, mais ce qui est tu. Les trois idées-forces qui ont structuré les campagnes électorales de Thatcher, Reagan, Menem, Fujimori, De la Rua, Rajoy ou Sarkozy sont : le « changement », le harcèlement de l’opposition au pouvoir et l’ « union » du pays.
À peine les élections gagnées, lors de l’annonce du premier train de mesures d’ajustement, Margaret Thatcher a l’idée d’articuler son discours, « il n’y a pas d’alternative » [TINA] en ayant recours à un argumentaire présentant les recettes néolibérales comme le seul chemin possible, cachant leur caractère idéologique et imposant une vision de « l’Économie » qui serait une science exacte, post-idéologique. En plus d’être inéluctables, ces ajustements sont dus au « lourd héritage reçu » et à la nécessité de « restaurer la confiance du marché » (ce seront les arguments de Menem, Fujimori, De la Rua, Rajoy, Samaras ou Sarkozy). Les coûts politiques doivent ainsi être partagés entre leurs prédécesseurs et l’absence d’alternatives ; le gouvernement emprunte cette direction parce qu’il n’a pas d’autre choix.
Ces politiques ont rapidement un impact sur la majorité de la population. Ici, le schéma introduit des fondamentaux comme « ça va mal, mais on est sur la bonne voie » ou ces « sacrifices vont sauver le pays » (Menem, Fujimori, de la Rúa, Papandreou, Monti et Rajoy). Avec plus d’inégalité, plus de pauvreté et de chômage on suggère que les bienfaits du modèle arriveront dans un proche avenir, et on demande des sacrifices et de la patience jusqu’à ce que se répande un quelconque bénéfice.
Lorsque le modèle se radicalise et que l’agitation sociale augmente, le récit vise à criminaliser la protestation et à insulter le public. C’est alors que se déploient deux plans : le premier légitime les « protocoles visant à réglementer » la protestation sociale, l’autre favorise la désaffection et l’apathie afin de soumettre la politique, privatiser et réduire l’État. Face à la perte de légitimité et de soutien du gouvernement, les grosses pointures du capitalisme mondial interviennent (FMI, Département du Trésor américain, BCE ou Forum de Davos) qui félicitent le « courage » ou la « détermination » à mettre en œuvre ces politiques, comme cela est arrivé avec Menem, Fujimori, de la Rua, Rajoy, Samaras ou Sarkozy.
Dans le langage néolibéral le terme « néolibéralisme » n’existe pas. Ainsi on appelle l’ajustement « faire des économies », les transferts de ressources sont des « réformes », l’insécurité devient de la « flexibilité », les licenciements de la « rationalisation », la réduction salariale de la « modération », les coupes dans les droits « de l’austérité » ou la contraction de l’État, sa « modernisation ». Les mesures anti-populaires sont « inévitables ». Ainsi la déformation systématique du langage contribue à déprécier le poids de la parole en politique.
Prévisibilité du récit macriste [néolibéral-néocolonial]
Pendant la campagne macriste, à l’exception de quelques dérapages, les mesures néolibérales ont été omises, camouflées ou niées en invoquant une "campagne de peur". Usant d’un marketing fort au contenu très émotionnel, la campagne s’est articulée sur les axes du « changement » [cambio] (incluant ce mot, comme le fit Fujimori, dans le nom de son alliance, « cambiemos »), de l’ « union » et des attaques contre le kirchnerisme.
Depuis décembre, les mesures d’ajustement, l’endettement, les licenciements, le transfert des ressources sont justifiés par l’absence d’alternatives, par l’ « héritage k » [1] et la nécessité de « restaurer la confiance du marché ». Le discours du Gouvernement, depuis le début, a criminalisé la protestation sociale, établissant des « protocoles » pour la répression et a méprisé les services publics, en appelant « ñoquis » [2] ou « matières grasses militante » les travailleurs de l’État mis à pied.
Il a introduit le mot « sincérité » et est sur le point de devenir « un pays sérieux et normal », il tient sur les fonts baptismaux la fiction d’une politique sans conflit et la gouvernance par des PDG comme « une nouvelle façon de faire de la politique. » Bientôt il faudra demander des « sacrifices pour la patrie » et annoncer l’arrivée des fruits de l’ajustement. Et déjà le FMI, Davos et d’autres applaudissent le « courage » d’approfondir des politiques anti-populaires.
Le macrisme, malgré son dispositif de communication sophistiqué et puissant répète le schéma discursif dominant depuis des décennies. Un récit qui explique et légitime un modèle qui déplace les axes de la puissance du politique vers l’économie, de l’État vers le marché. Et tout ce que ce modèle peut avoir d’excluant, comme tout ce que son récit peut avoir de cynique, est parfaitement prévisible.
*Rodrigo Fernandez Miranda. Enseignant et chercheur argentin en sciences sociales.
Notes
[1] K : tout ce qui concerne les Kirchner ou le kirchnérisme est désigné, dans les médias de l’opposition, par la seule lettre K.
[2] ñoquis : terme péjoratif désignant les travailleurs qui n’apparaissent au bureau qu’à la fin du mois, pour toucher leur paie, comme les gnocchis qui remontent à la surface de l’eau lorsqu’ils sont cuits. C’est aussi ce que l’on mange en fin de mois, quand le porte-monnaie est vide.