Sous le signe d’une violence planifiée, chaotique et déstabilisatrice, depuis 90 jours se déroulent des affrontements au Venezuela qui dépassent l’habituel. Derrière l’apparente lutte pour la démocratie –où s’affrontent des partisans de la démocratie libérale représentative avec ceux qui cherchent à approfondir la démocratie participative, directe et active − se vit une guerre irrégulière qui utilise des formes de violence jusqu’à présent ignorées dans le pays, dont l’objectif est de générer la peur et la terreur dans la population. Une terreur paralysante.
C’est un nouveau type de violence ou d’action directe avec des réminiscences néonazies, pratiquée par de petits groupes disséminés, bien entraînés et disciplinés qui agissent en relation avec des éléments de la pègre, de la délinquance organisée, des paramilitaires et déclassés qui disposent d’ armes conventionnelles et domestiques, de ressources et d’une logistique inhabituelles dans les partis ou les organisations politiques qui prétendent lutter pour la démocratie et la défense de l’ordre constitutionnel. En plus de disposer d’une écrasante couverture médiatique internationale.
C’est une violence différente de celle du coup guarimbero de 2014, puisque dans la conjoncture actuelle l’offensive d’extrême droite du syndicat patronal (Fedecámaras), des fractions les plus réactionnaires de la Mesa de Unidad Democrática et de la hiérarchie de l’Église catholique locale, et des intellectuels qui font l’apologie du putschisme, a incorporé le « facteur paraco ». C’est-à-dire paramilitaires et tueurs à gages venant du trafic de stupéfiants colombien liés à l’uribismo [ex Président Colombien Alvaro Uribe], qui entre-autres missions ont celle de construire des couloirs frontaliers et de faciliter des opérations extraterritoriales.
Nous assistons donc à l’irruption d’une structure « paraco-racaillo-terroriste » qui a arraché la conduite de la lutte de la rue (les dites « mobilisations pacifiques ») à la direction formelle de la MUD, et dont le résultat a été un nouveau mode violent de type terroriste, appris dans les laboratoires de la guerre sale du Pentagone et pratiqué et expérimenté en Colombie ces 25 dernières années.
Où sont les vrais responsables de la violence fratricide ? Qui entraîne les terroristes ? Qui les finance et leur fournit les armes, les équipements coûteux et la logistique qui leur permet d’opérer pendant des mois ?
La perception tue la réalité
A ce niveau, comme auparavant en Colombie, Afghanistan, [Kosovo], Irak, Libye, Ukraine et Syrie, etc, le terrorisme gagne partiellement la guerre au Venezuela. Le terrorisme est l’usage illégal, calculé et systématique de la violence préméditée pour inculquer ou provoquer de la peur et intimider une société ou une communauté. C’est une forme spécifique de violence. Comme tactique, c’est une forme de violence politique contre des civils et d’autres objectifs non combattants, perpétrée par des groupes clandestins, mercenaires ou bandes organisées.
Le terrorisme n’est pas un adversaire mais seulement une forme de violence politique qui, parfois, comme c’est le cas actuellement au Venezuela, sert à édifier l’architecture d’une intervention militaire étrangère directe sous une couverture « humanitaire ».
Aux côtés de la guerre psychologique, des opérations clandestines des forces spéciales et des guerres économiques, bactériologiques et électroniques, la pratique du terrorisme via les escadrons de la mort ou de groupes paramilitaires –comme principaux instruments de la guerre sale −, est une composante clef de la guerre asymétrique.
Selon les manuels du Pentagone, la notion d’asymétrie ne fait pas allusion à la perspective d’un simple déséquilibre dans la parité des forces avec l’ennemi, mais suppose une méthodologie qui emploie les tactiques irrégulières ou non conventionnelles qui permettent de manœuvrer au moindre coût politique et militaire possible pour le promoteur ou acteur stratégique caché (le dit « un leadership par derrière »).
Un élément essentiel pour l’efficacité de l’action terroriste, ce sont les médias. Dans une guerre non conventionnelle, d’usure, comme celle que dispensent les États-Unis en coulisses contre le Venezuela, les vraies batailles se livrent dans l’imaginaire collectif.
Le Pentagone donne une grande importance à la lutte idéologique dans le domaine de l’information. On utilise les médias comme arme stratégique et politique dans la « bataille de la narration ». Il s’agit de dominer le récit de toute opération, militaire ou non. « La perception est aussi importante pour son succès que l’événement lui-même (…) À la fin de la journée, la perception de ce qui est arrivé importe davantage que ce qui est réellement arrivé ».
Sous la baguette de Washington, dans le cadre d’un processus aussi dynamique que celui du Venezuela après l’arrivée au gouvernement d’Hugo Chávez en 1999, les grands médias occidentaux ont travaillé à la déstructuration des bases de la compréhension collective et du sens d’appartenance et de Nation d’un secteur majoritaire de la population. Et à travers un travail constant et soigneux de sape symbolique, ils se sont consacrés à dynamiter le processus du changement radical de la société grâce à des campagnes d’intoxication et de désinformation.
Ainsi, grâce à la répétition in extremis de matrices déterminées d’opinion, la plupart du temps soutenues par des mythes, de fausses données et des demi-vérités, les États-Unis et les médias cartellisés sous contrôle monopolistique privé ont réussi à fabriquer à l’extérieur du pays la fausse perception selon laquelle au Venezuela, il existe une « dictature ».
Mais un régime totalitaire ne permettrait pas les offenses, les sabotages, les actes vandales ni les attaques d’unités militaires et policières, de centres industriels, d’installations gouvernementales ou de services publics clefs comme le Métro ou les 50 autobus brûlés de la compagnie Transbolívar. Pas plus les excès aberrants de plusieurs médias qui opèrent comme le principal bureau de propagande des terroristes et de leurs sponsors cachés.
Dans tout conflit, la guerre mediática −aussi appelé de quatrième génération −, c’est le préambule de la guerre stratégique. Dans ce contexte, ce que chaque jour les grandes corporations des médias transmettent sur la Venezuela n’est pas vrai. Ce qu’ils présentent comme réalité CNN, O’Globo, Télévisa, le Groupe Clarin, la BBC, Deutsche Welle, El País de Madrid, le Réseau de Quotidiens des Amériques membres de la SIP (Société Interaméricaine de Presse) et d’autres oligopoles privés n’est pas tel.
Bien que l’objectif de la couverture de l’information ait à voir avec la dispute pour l’hégémonie (Gramsci), il ne s’agit pas d’un simple problème idéologique ou de classe. Avec le militaire, l’économique, le culturel et le spatial (l’aspect géopolitique et le contrôle de territoires), le terrorisme médiatique est inhérent à ladite « la domination complète du spectre » (full espectrum), une notion dessinée par le Pentagone avant le 11 septembre 2001.
Étant donné que le spectre est politique, géographique, spatial, social et culturel, pour imposer la domination, il est nécessaire de fabriquer le consentement. C’est, placer dans la société des « lieux communs » qui à force de se répéter s’incorporent à l’imaginaire collectif et introduisent, comme unique, la vision du monde du pouvoir hégémonique.
La domination du spectre complet promu par les États-Unis depuis le Commando Sud, combine différentes modalités de la guerre non conventionnelle, ainsi que plusieurs stratégies et tactiques guerrières asymétriques dans le but de s’adapter à une scène complexe : le Venezuela de Hugo Chávez et de Nicolás Maduro, qui après 18 ans de gestion gouvernementale a réussi à forger un nouveau type historique anticapitaliste et antimpérialiste ; une union civile-militaire d’un type nouveau, sous un leadership, qui grâce aux circonstances a grandi et mène une bonne gestion tactique de la crise.
Le guerrier de Dieu et la désobéissance civile
Revenant au terrorisme, un cas récent fut le traitement médiatique des attaques lancées depuis un hélicoptère contre le Ministère de l’Intérieur et la Cour suprême de Justice (TSJ), à Caracas, le 27 juin dernier. Dans les faits, ont joué le rôle principal Óscar Pérez, inspecteur de la Brigade d’Action Spéciale du Corps d’Investigations Scientifiques, Pénales et de Criminologie (Cicpc), qui après avoir décollé dans un hélicoptère de la police de la base La Carlota et survolé la capitale, a tiré 15 coups de feu contre le ministère et a lancé quatre grenades d’origine colombienne et de fabrication israélienne contre le TSJ.
Immédiatement après les attaques une vidéo a été diffusée sur Instagram, où Pérez se déclarait en « désobéissance civile » et avec « un groupe de militaires et de policiers », il a appelé à un coup d’État contre le président constitutionnel, Nicolás Maduro. Les membres de l’équipage de l’hélicoptère ont exhibé une couverture où on lisait : « 350 : LIBERTAD », en allusion à l’article de la Constitution qui dit que le peuple « ignorera tout régime, législation ou autorité qui contrarie les valeurs démocratiques, les principes et les garanties ou porte atteinte aux droits de l’homme ».
Le chancelier Samuel Moncada a qualifié Óscar Pérez de « psychopathe » criminel qui se fait appeler « guerrier de Dieu ». Et il a condamné le silence des pays de l’Union Européenne et de l’Organisation d’États américains (OEA) devant ce qu’il a désigné comme des actions terroristes.
Quelques médias internationaux ont essayé d’occulter le fait ou l’ont présenté comme une opération de faux drapeau. Les autres l’ont exalté et l’ont glorifié. Au moment des attaques dans les deux bâtiments publics, se trouvaient des civiles. Et bien qu’on ne compte pas de victimes, par sa nature et les effets qu’il cherchait à produire - perte de vies humaines (vu l’armement utilisé), contrainte psychologique et peur dans la population- ces actes peuvent être qualifiés de terroristes.
Comme on a dit plus haut, le terrorisme est l’usage illégal, calculé et systématique de la violence préméditée pour inculquer ou provoquer la peur et intimider une société. Comme tactique, c’est une forme de violence politique contre des civils et d’autres objectifs non combattants. Il s’agit d’une action indirecte, puisque l’instrument ciblé (des victimes qui n’ont rien à voir avec le conflit cause de l’acte terroriste), fréquemment sélectionné à cause de sa valeur symbolique ou choisi au hasard (cible occasionnelle), est utilisé pour susciter la peur, pour exercer une coercition ou pour manipuler une audience ou un cible primaire, à travers l’effet multiplicateur des médias, qui peuvent être utilisés comme véhicules de propagande pour discréditer et (ou) user le gouvernement.
À titre d’exemple, Orlando Figuera a été poignardé sur la place Altamira, aspergé avec de l’essence et transformé en torche humaine par des adversaires du MUD, et Barney Subero, un employé retiré de la Garde Nationale a été pris, torturé et assassiné en pleine rue Cabudare, les deux par une bande opposante pour ressembler à des « chavistas ».
Vu ainsi, le terrorisme est plus que de la simple violence, qui implique la présence de deux parties, l’agresseur et la victime. Le terroriste a besoin d’une troisième partie qui peut être intimidée par le traitement infligé à la victime.
Il est inutile de dire que le maniement du langage appliqué aux mots terreur et au terrorisme a été utilisé, en général, comme un instrument sémantique par les puissants pays d’Occident et les médias à leur service. Dans ce sens, le langage qui est utilisé n’est en rien innocent : le mot terrorisme est toujours appliqué au terrorisme de l’autre, tandis que le sien est caché grâce aux euphémismes. Par exemple, « les combattants de la liberté » de Ronald Reagan dans le Nicaragua sandiniste [et en Afghanistan] et ceux de Donald Trump au Venezuela.
Bien qu’il n’ait pas eu d’implications militaires graves, le cas de l’hélicoptère a semblé faire partie de l’escalade putschiste permanente contre Nicolás Maduro. Cela apparaît comme un précédent du plan d’opposition dénommé « Fase Final »[Phase Finale], qui cherche à augmenter les attaques pour semer le chaos dans la vie publique et augmenter la violence face aux élections de l’Assemblée Nationale Constituante.
* Carlos Fazio Journaliste et analyste international uruguayen résidant au Mexique, collaborateur du quotidien mexicain La Jornada, et et l’hebdomadaire uruguayen Brecha.