La polarisation des postures autour de l'affaire Tariq Ramadan est bien inquiétante à bien des égards...
Autant l'on peut condamner le traitement médiatique de l'affaire (comme c'est le cas de beaucoup d'affaires judiciaires), autant il paraît hasardeux de se lancer dans une défense inconditionnelle de l'homme public.
Encore une fois, je ne sais absolument pas ce qu'il s'est passé ou non dans cette affaire. C'est pourquoi c'est la prudence et le recul qui devraient s'imposer...
Pourtant beaucoup prennent une position ferme et vigoureuse sur le dossier. Jouer aux procureurs sans avoir accès au dossier complet est un jeu dangereux.
La justice française, comme toute institution humaine, n'est pas parfaite, loin s'en faut. Mais distiller l'idée, parmi les musulmans, qu'elle serait TOTALEMENT et ABSOLUMENT voire ONTOLOGIQUEMENT partiale n'est pas sérieux.
On a beau faire des circonvolutions sémantiques, l'idée diffusée par la plupart des prises de positions publiques (et reçue par leur audience) est bien celle-ci : la justice française dysfonctionne totalement quand elle n'est pas islamophobe... Posture dangereuse quant aux conséquences sur les représentations qu'elle génère…
Quelle que soit l'issue de cette affaire, elle en dit long des tensions qui traversent la société française. Jouer avec ces tensions, de part et d'autres, est délicat pour ne pas dire irresponsable.
Transformer une question judiciaire en un combat politique engageant toute une "communauté" ou carrément une religion c'est hystériser la société autour de questions identitaires. C'est ici que repose le véritable danger qui dépasse la personne de Tariq Ramadan (qu'on soit "pour" ou "contre" Tariq Ramadan, vu qu'on en est là).
Cette attitude "d'hystérisation" périlleuse est vraie autant pour les soutiens quasi-inconditionnels de Tariq Ramadan que d'une partie des élites politiques et médiatiques. Les deux pôles lient l'affaire en cours avec l'identité musulmane du mis en cause. Attitude dangereuse disais-je…
On peut s'émouvoir légitimement de la dégradation sanitaire d'un homme. Mais cette émotion ne saurait faire éclipser le souci de justice pour qui se dit attaché à ce principe éthique universel.
Voir autant de procureurs sur les réseaux sociaux génère un sentiment de malaise et, je le dis encore, d'inquiétude... Que se passera-t-il quand la décision judiciaire, après un procès, penchera d'un côté ou de l'autre (la condamnation ou l'acquittement) ? Quelle forme va prendre l'affrontement des deux camps ?
Les partisans du pire (sans jeu de mots...quoique) des deux bords vont se réjouir car la décision judiciaire va confirmer leur position commune : il n'est de place possible en France pour les "musulmans" ou ceux considérés comme tels. Où allons-nous ainsi ? On est en train d'ériger un mur pour mieux se le prendre de face, collectivement...
Dénoncer le traitement médiatique est une chose, mais entrer dans le fond du dossier en est une autre... On peut avoir un avis (une sorte "d'intime conviction" quoique forcément partielle et aussi partiale) mais l'évoquer publiquement telle une plaidoirie, c'est problématique.
Je conteste cette assignation à devoir être lié à une affaire parce que je partage la même foi que le mis en cause. J'ai toujours tenu cette position. Je le disais à l'époque où Rachidien Abou houdeyfa tenait des propos à mon sens inacceptables : c'était à lui d'assumer ses propos et je ne voyais pas pourquoi je devais être embarqué dans sa tourmente. Dans le cas de Tariq Ramadan bien sûr que l'on peut avoir un avis sur le traitement médiatique de l'affaire mais pourquoi le faire à travers des "yeux musulmans". C'est une grille de lecture dangereuse car elle cristallise des oppositions factices et insolubles.
Je pense que ça sera avec le recul que l'on pourra dire s'il y a eu dysfonctionnement relevant d'un traitement différencié en fonction de l'appartenance religieuse de l'accusé... Sur le moment c'est à ses avocats de le démontrer pas à l'ensemble des musulmans sur la base d'éléments épars.
Le principal défaut que je reconnais au système judiciaire français est qu'il nécessite d'avoir des avocats très performants (donc très chers) pour avoir plus de chance de voir la balance de son côté. Là réside la principale injustice d'un système : une sorte de perpétuation de l'inégalité sociale au sein de l'arène judiciaire…
Plus le temps avance effectivement, et plus chacun est sommé, surtout si l'individu est musulman, de choisir son camp : pour ou contre Tariq Ramadan, glissant vers un "pour ou contre l'islam(isme)"... on pourrait penser que ça frôle le n'importe quoi si cela n'avait pas le risque d'avoir des conséquences désastreuses.
Note de service : cet article n'a aucune autre prétention que de dire ce que je crois être juste et ne vise ni à blesser qui que ce soit ni à régler des comptes ni encore moins à prendre je ne sais quelle place…