Au départ, après les attentats du 11 septembre, le conspirationnisme se présentait comme quelque chose d'hyper-factuel et sourcé. Les tenants des théories du complot t'assommaient de dizaines de liens, de notes de bas de pages, de références à des publications scientifiques en sismologie dont tu ne réalisais que longtemps après qu'elles n'avaient RIEN à voir avec le sujet.
La manière d'imposer le narratif conspirationniste , c'était de te mettre en position d'ignare et d'imbécile qui croyait ce qu'on lui montrait , que tu te sentes inférieur face à des "vrais" militants informés qui bossaient leurs sujets, enquêtaient de tous les côtés, s'y connaissaient en tectonique des plaques et en physique nucléaire, même.
Avec le recul, cette stratégie était celle d'une époque où l'imaginaire conspirationniste n'était pas encore dominant et banalisé.
Aujourd'hui, ce qui prenait la forme d'une déconstruction pseudo-scientifique est désormais juste une vérité révélée, une évidence assénée comme un principe mathématique, un raisonnement aussi simple que 2 et 2 font 4, et qui demanderait pourquoi à chaque fois ?
Désormais, présenter toute information sur les massacres commis par une dictature comme fausse va de soi.
La posture du doute a été abandonnée, le personnage du thruther aussi.
" C'est faux". Il ne s'écoule même plus 24 heures avant que toute information sur des crimes contre l'humanité soit simplement rejetée comme élément évident du Grand Mensonge Global. Plus de " C'est faux, parce que....". Non c'est faux comme 2 et 2 font 5.
Et c'est fascinant quand on compare ce processus à celui, qui, autrefois, a fondé l'adhésion à certaines idéologies totalitaires. A tous ces efforts accomplis par exemple par les staliniens pour imposer dans les esprits le soutien inconditionnel au régime, l'esprit de discipline absolue fondée sur la culpabilisation et la répression des militants qui au sein de partis extrêmement structurés devaient obéissance totale et absence de doute sur la ligne officielle.
Les imaginaires conspirationnistes ont permis en quinze ans d'imposer la même chose sans adhésion consciente au Parti, sans culte officiel du Chef Suprême et de sa Vérité Absolue.
On soutient Assad ou Poutine en se croyant indépendant et électron libre, on devient le relais bénévole de la propagande des dictatures sans même un seul instant éprouver la moindre gêne devant l'absurdité des prétendues Vérités Révélées et leur décalage avec les preuves de l'atrocité du réel.
Dans nos démocraties, la propagande des dictatures est certes soutenue par des Partis, mais ils sont finalement assez facultatifs, l'adhésion à l'imaginaire conspirationniste ne nécessitant plus ni carte, ni menaces, ni exclusion politique.