Quand le ministre franchit le mur des cons

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Le ministre du commerce Omar Béhi a déclaré que le gouvernement a décidé de décaler la date d'entrée en vigueur de l'impôt sur les sociétés pour les grandes surfaces (MG, Carrefour, Géant..) de 35% à 2020.

Il a confirmé que son gouvernement maintient le taux d'imposition pour la grande distribution à 25% en 2019 pour préserver le pouvoir d'achat des citoyens puisque selon le ministre cela aurait eu un impact direct sur l'inflation.

Je suis très admiratif quand un ministre franchit le mur des cons. Voyons comment cette performance d'analyse économique a été réalisée.

D'abord, avant de commencer la démonstration qu'on a franchi le mur des cons, je tiens à préciser que je vais essayer de vulgariser quelques concepts d'analyse financière afin que mes propos soient intelligibles pour tous.

Il est de notoriété publique que les grandes surfaces ont un business model qui ressemble plus à celui des banques qu'à des sociétés commerciales. En gros, les grandes surfaces gagnent de l'argent grâce au placement de l'argent. Cet argent placé ne provient pas de la marge commerciale entre le prix d'achat et le prix de vente, ce qui serait normal dans une activité commerciale. Mais du décalage de délai de règlement entre les fournisseurs à qui ils exigent 120 jours voire 180 jours pour être payés. En contrepartie, nous payons cash en passant à la caisse.

Dans ce modèle économique de la grande distribution, que le ministre du commerce devrait connaître, les marges commerciales sont réduites (en moyenne 21%).

Les marges d'exploitation, après avoir déduit les charges du personnel et autres, sont aux alentours de 3%. C'est pour cette raison, que les clients choisissent de payer l'essence pour aller faire leurs courses car les prix sont généralement moins chers que chez l'épicier du coin.

Maintenant est-il vrai, comme l'a indiqué Omar Béhi, que lorsque l'impôt sur ces sociétés passe de 25% à 35%, les prix s'envoleront?

D'abord, les achats dans les centres commerciaux représentent 20% de l'ensemble du commerce. Les 80% restant se font dans les 30 milles petits commerces (épicier, boulanger, charcutier..) que compte le pays.

Si l'impôt sur les sociétés(IS) est de 35%, cet impôt représenterait 1% du chiffre d'affaires (35% de 3%). Si l'IS passe à 25%, cela représenterait 0,75% du chiffre d'affaires (25% de 3%). Donc la différence entre les deux impositions est égale à 0,25% du chiffre d'affaires.

Maintenant, est-ce que les actionnaires, dont notre ministre du commerce, se préoccupent de leur rendement financier, vont répercuter ce manque à gagner sur le prix de vente?

La réponse est forcément Non.

En effet, contrairement à une augmentation d'une taxe directe, telle que la TVA, il n'y aura pas une augmentation mécanique issue de cette mesure.
Par exemple, dans la loi de finance de 2018, ce même ministre a décidé une augmentation de la TVA de base de 6% à 7%. Cette augmentation de 1% de TVA sera répercutée sur le prix de vente. Et donc contribuera à l'inflation.

D'ailleurs, ce même ministre à l'époque ne s'est pas préoccupé du pouvoir d'achat des citoyens lors de la discussion de la PLF 2018.

D'autre part, le delta de rendement financier (0,25% du CA) causé par l'augmentation de l'IS n'est pas identique pour tous les acteurs de la grande distribution.

Pour certains, c'est 0,25% comme le cas de Magasin Général(MG). Pour le cas de Monoprix, par exemple, le chiffre d'affaires est de 570 millions de dinars (MD) en 2017.

L'IS à 35% revient à 2,4MD. Si on le baisse à 25%, il sera 1,7MD.
Finalement, pour Monoprix, le delta entre les deux taux d'imposition est de 0,7MD soit 0,12% du CA.

Pour compenser ce manque à gagner les dirigeants de Monoprix doivent relever les prix de vente de 0,12%. Par ailleurs, si MG doit relever les prix pour retrouver le rendement initial, ça sera de 0,25%.

Contrairement à une augmentation d'une taxe directe (TVA), qui va être répercutée directement sur le pouvoir d'achat du citoyen, l'analyse financière des bilans de la grande distribution, montre que le relèvement de l'IS à 35% n'a pas d'impact direct sur les prix.

Et même si les actionnaires des grandes surfaces décident de compenser cette hausse d'impôt sur les prix, ça ne sera pas significatif sur les prix. Mais surtout impossible à mettre en œuvre.

En effet, on a vu dans les deux exemples ci-dessus, que chaque société de grande distribution a une structure de coût différente. Donc si MG relève ses prix de 0,25% il ne sera plus compétitif par rapport à Monoprix. Ceci sans compter les 30 milles petits commerces qui verront leur compétitivité s’accroitre par rapport à l'ensemble de la grande distribution.

Il y a, par ailleurs, des produits administrés dont on ne pourra pas toucher les prix.

Au final, l'argument que prend le ministre du commerce de baisser l'IS de la grande distribution de 35% (comme prévu par la LF 2018) à 25%, n'a aucun fondement économique. Il est juste fallacieux.

Il s'agit tout simplement d’un cadeau fiscal. Il est vrai que les fêtes de Noël approchent, le gouvernement devrait penser aux copains et aux coquins.
Je me demande comment un gouvernement se permet de distribuer de l'argent alors que pour boucler son budget de 40 Milliards de dinars, il a dû emprunter 10 milliards de dinars.

Enfin, je demande simplement aux responsables d'éviter de franchir le mur des cons en essayant de trouver des arguments bidons.

PS : les exemples de MG et Monoprix ont été choisis dans l’analyse financière car ces entreprises sont cotées et donc les bilans financiers sont disponibles sur le site bvmt.com.tn de la bourse de Tunis.

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