Les gilets jaunes sont le signe d’une crise de foi. Crise de la foi dans l’État, dans les institutions, dans les partis, dans la démocratie, dans ce que les partis appellent le système tout en faisant partie du système.
L’irruption soudaine de ce mouvement imprévu, son ampleur, ses désordres, puis les violences de samedi nous obligent à réviser les modes de penser prééminents sur notre société, sur sa civilisation, sur leurs carences et misères tant physiques que morales, sur notre République, sur notre présent, notre avenir et à repenser notre Politique.
La longue apathie de nos concitoyens devant les multiples restrictions et suppressions appelées réformes donnait l’illusion de l’acceptation ou de la résignation. Alors qu’une fois de plus un feu couvait dans le sous-sol d’un édifice qu’on croyait stable, et la taxe carbone a fait la brèche qui l’a déchainé.
Le caractère spontané du mouvement, son caractère : « Il manque une pensée directrice au mouvement des ’gilets jaunes’ » et sa diffusion par les réseaux sociaux ont fait sa réussite initiale. Le gilet jaune a soudain changé de fonction et devenu étendard de révolte. Pas de responsable, pas de chef, pas de structure, pas d’idéologie, ce qui a permis de rassembler les mécontentements, déceptions, frustrations, colères divers et hétérogènes du retraité au cultivateur front national et au jeune urbain insoumis.
Mais cette force initiale est devenue un handicap au moment où il fallait annoncer sinon un programme du moins une orientation pour des reformes, et non tant des suppressions fiscales ou la démission du Président. Certes des revendications multiples formulées à travers des voix diverses comportent des suggestions pertinentes mêlées à des idées farfelues. Mais il manque totalement une pensée directrice et une telle pensée conduirait à un éclatement entre les composantes hétérogènes d’un mouvement où les colères unies contre le pouvoir, sont en fait antagonistes entre elles. Donc tout ce qui a fait la réussite du mouvement risque de le conduire à un échec final.
Ce mouvement spontané est évidemment infra politique à sa source mais son caractère protoplasmique et déstructuré a suscité le parasitage des partis politiques d’opposition en même temps que celui des casseurs de tous poils qui ont eu le temps de bien préparer leur ingression et agression le 1er décembre.
Ce mouvement est aussi au départ supra-politique car il fait appel à la morale et à la justice dans un pays où le pouvoir favorise les déjà favorisés et défavorise les déjà défavorisés.
Ce mouvement est aussi au départ de nature non violente, bien qu’usant de contraintes sur la circulation urbaine ou routière, mais la violence inouïe des casseurs, puis la violence qui en divers lieux cassait les casseurs, ont dégradé le 1er décembre et risquent de ruiner le mouvement des gilets jaunes. A moins qu’advienne, chez eux et en dehors d’eux, une prise de conscience au-delà des revendications, et l’esquisse d’une Voie pour notre société.
La prise de conscience est de comprendre que l’obstacle majeur n’est pas dans le pouvoir du Président et du gouvernement, il est dans le pouvoir multiforme du Profit qui a colonisé ce pouvoir.
Enfin le seul avenir de ce mouvement, s’il est encore concevable, aurait été de se doter d’un diagnostic pertinent sur les causes d’un mal qui certes a ses spécificités françaises, mais est plus général : la dégradation n’est pas seulement celle de la biosphère, elle est celle de la sociosphère, celle de l’anthroposphère, celle de la noosphère (sphère des activités de l’esprit) : il s’agit d’une énorme crise de civilisation et d’une énorme crise de l’humanité suscitée par la mondialisation déchainée.
Paradoxalement le mouvement, en s’opposant à la taxe pro-écologique, du reste brutalement assénée, s’est trouvé opposé et aveugle à ce qui constitue le salut : la lutte pour la régénération de la biosphère, la dépollution des villes, la revitalisation des terres par une agriculture fermière et bio. Cela dit, il me parait que si le gouvernement avait voulu saboter la cause écologique, il n’aurait pu faire mieux.
Car le salut est d’indiquer la Voie pour une politique nouvelle orientée par la volonté de dépolluer non seulement les sources d’énergies, mais nos villes, nos sols, notre atmosphère, notre alimentation, nos vies et qui prendrait le traitement du grand problème écologique multiforme comme source de régénération.
Par la même serait refoulé progressivement le pouvoir hégémonique et incontrôlé du profit. Cette Voie nouvelle comporterait une politique de civilisation laquelle réduirait progressivement les carences de notre civilisation et en développerait progressivement les vertus.
Hulot a été contraint de démissionner devant la formidable résistance du pouvoir financier, des institutions, des esprits de nos gouvernants. Les Gilets jaunes n’ont combattu que les symptômes, non les causes.
Nous verrons si apparait une possibilité d’évolution positive dans ce sens ou s’il ne faudra pas construire autrement et ultérieurement une Voie d’avenir.