Commençons par un constat : La condition féminine est encore malmenée en Tunisie (comme partout ailleurs, bien qu’à des degrés relatifs) et la société favorise toujours la gente masculine. Cet article ne prétend ni infirmer un postulat aussi basique ni l’atténuer. Bien au contraire, il est d’une extrême urgence d’avancer sur tous les fronts pour améliorer le bien être des femmes, et leur rendre justice.
Toutefois, le combat « féministe » en Tunisie reste prisonnier des modèles préfabriqués, en décalage avec la grande majorité de la population et sa culture. Un féminisme qui divise et polarise, et qui s’obstine à emprunter des chemins tordus et difficiles (ce qui est simple à concevoir peut s’avérer compliqué à appliquer) alors qu’une démarche plus pragmatique aurait donné des résultats tangibles voire spectaculaires dans un temps très court et sans le même risque social.
Ainsi, appliquer la stricte égalité homme-femme dans toutes les lois, y compris l’héritage et la pension alimentaire, et bien que ça naisse d’une volonté sincère de rendre justice à la femme, risque de la desservir et d’avoir très peu d’effets positifs dans le cas tunisien (proposition de COLIBE), et engendrera une société polarisée et enfermée dans un débat stérile entre tradition et modernité. N’y a-t-il pas d’autres chemins ?
1. L’égalité et la justice, entre différences et similitudes
Toute femme tunisienne ressent une forme d’injustice et veut y pallier, sans forcément pousser vers un schéma d’égalité stricte, et si le combat de certaines pour l’égalité force le respect, il sera mal avisé de penser que toutes les femmes qui ne font pas de cette égalité stricte leur propre combat acceptent l’injustice ou un rôle de second rang. Elles aussi méritent le respect, et surtout l’écoute.
Le sondage ci-dessous, mené par International Republican Institute (Think tank américain) montre l’avis d’un échantillon représentatif de la population tunisienne à propos de l’héritage. Il est frappant de voir que même dans l’échantillon exclusivement féminin, une majorité de femmes reste contre ladite égalité (la COLIBE ne nie pas le fait qu’une majorité de citoyens est contre le projet de loi d’égalité dans l’héritage). Devrait-on agir conte leur volonté ? Le féminisme ne passe pas par la case respect de l’avis des femmes tunisiennes ?
Le deuxième constat qui interpelle, c’est la différence d’opinion entre hommes et femmes pour la même question. Si la similitude des résultats peut s’expliquer grosso-modo par la division des familles en deux groupes, un groupe conservateur (~60% où les hommes et les femmes votent contre l’égalité) et un groupe progressiste (~20% où les hommes et femmes votent pour l’égalité), il reste que pour 20% des familles, les hommes votent contre l’égalité et les femmes pour.
Pour ces 20% des familles, ça ne peut être le penchant conservateur/progressiste ou l’interprétation religieuse (les familles sont généralement homogènes sur ces points). C’est très vraisemblablement un sentiment d’injustice (et une volonté possiblement égoïste de la part des hommes), vu que la femme devient active sur le plan économique, partage une grande partie des dépenses familiales et que l’argument religieux qui relie héritage et dépense ne tient plus (du moins en apparence) la route.
Pour étayer le point, le même sondage liste l’avis des hommes et femmes à propos du décret autorisant le mariage d’une Tunisienne à un non-musulman. Le nombre de femmes qui soutiennent fortement la mesure, et qui fut de 33% pour l’héritage, descend à 19%, un pourcentage sensiblement similaire aux hommes.
L’ancien décret (aboli depuis) interdisant le mariage d’une tunisienne à un non-musulman est inégalitaire, et pourtant, moins de 20% des femmes votent pour l’abolir.
Ce qui motive les 40% de femmes qui votent pour l’égalité dans l’héritage est donc, en grande partie, un sentiment d’injustice et non un désir d’égalité (qui se serait manifesté pour le mariage avec un non musulman aussi). Ce même sentiment d’injustice est très probablement partagé par celles qui votent contre l’égalité, par conviction religieuse.
L’état n’a pas à intervenir dans le débat sociétal conservateur contre progressiste, et encore moins à y prendre parti (L’histoire récente des pays arabes le prouve continuellement). Par contre, Il se doit de pallier aux injustices. Le premier chiffre à prendre en compte et à corriger n’est pas le pourcentage de ceux qui sont pour ou contre l’égalité dans l’héritage, mais la différence de pourcentage entre hommes et femmes qui sont pour ou contre cette égalité.
Si un modèle inégalitaire mais perçu comme juste (dans le sens où il est jugé identiquement par les deux groupes hommes et femmes) permet de réduire ce gap, il aura plusieurs avantages : Tout en respectant la volonté de la majorité des gens, et en particulier de celles des femmes, il permettra de dissocier deux notions différentes : Justice et égalité. C’est ainsi qu’après l’instauration de ce modèle inégalitaire et (perçu comme) juste qu’il faut proposer aux Tunisiens (et surtout Tunisiennes) un modèle d’égalité stricte (entre autres pour l’héritage) tout en exposant ses avantages et les résultats atteints dans les pays qui l’appliquent déjà, et libre aux tunisien(ne)s de l’adopter ou de la refuser.
S’ils décident de l’adopter, ça ne serait par désir de justice, mais bien par désir d’égalité. Les deux notions sont différentes et l’une ne doit pas se nourrir de l’autre.
2. Choix de la majorité et droit des minorités
Les droits fondamentaux, en particulier ceux des minorités, ne peuvent pas faire l’objet d’un référendum, parce que la démocratie se résumera alors à une dictature de la majorité. Tel est le slogan de nombreux démocrates, et il y a du vrai dedans, bien que dans la pratique, la réalité est beaucoup plus complexe.
Toutefois, les femmes ne sont pas une minorité numérique, et ne peuvent donc subir un choix qu’elles réfutent à une très grande majorité (ce qui devrait être le cas pour leurs droits revendiqués), elles peuvent cependant être une minorité politique sans être une minorité numérique (ce qui a été souvent le cas). Pour pallier à ce fait, trois mesures peuvent être envisagées :
• Imposer une parité stricte dans toutes les institutions politiques (de l’assemblée jusqu’aux représentations locales).
• Créer un comité qui publie périodiquement tous les chiffres de l’inégalité homme-femme. Ces chiffres doivent être exhaustifs (inégalité de patrimoine, de salaire, d’éducation, d’indices de bonheur), détaillés, fiables et représentatifs de toutes les strates de la société.
• Considérer l’égalité comme le choix par défaut à moins que ça soit voulu autrement et par les hommes et par les femmes (L’état n’a pas à discriminer entre ses citoyens mais se plie à l’avis majoritaire des deux camps intéressés). Pour ce fait, un référendum peut être effectué séparément pour les hommes et les femmes, et c’est uniquement si les deux camps choisissent un schéma inégalitaire (comprendre qui différencie hommes et femmes) que ce dernier reste en vigueur. Si un des camps vote contre, alors l’égalité stricte s’appliquera automatiquement dans tous les domaines.
3. Un principe ne s’auto-justifie pas pour s’appliquer en politique
Si un principe est le credo de base pour construire un système de conviction personnelle, il en faut plus lors de toute réflexion sociétale ou pour construire un projet de loi, où le principe doit se concrétiser dans le cadre d’une politique cohérente et acceptée (ne serait-ce que passivement) par la société, une politique dont on mesure l’efficacité, et les effets à court, moyen et long terme. Y a-t-il une seule étude d’impact sur la prochaine inscription de l’égalité dans l’héritage comme choix de base et jusqu’à quel point va-t-elle améliorer le quotidien des femmes ?
C’est une guerre de symboles vu que tous les acteurs politiques de premier plan s’accordent sur la liberté à accorder pour diviser l’héritage par égalité ou par la loi actuelle (tout le débat est à propos de quelle règle sera suivie par défaut). Comble de l’ironie, l’égalité elle-même peut nous empêcher d’agir rapidement pour endiguer l’inégalité homme femme.
Si on remarque que des avantages existent dans une démarche de discrimination positive pour rétablir le droit des femmes, doit-on s’abstenir ? Doit-on dire aux femmes qu’elles doivent attendre quelque 200 ans avant que l’égalité inscrite dans la loi porte ses fruits ? (On exposera des exemples par la suite) le législateur doit il se contenter d’avoir la conscience tranquille en inscrivant ce qu’il voit comme principes dans des textes de loi sans se soucier de l’effet concret de ces lois sur les premiers concernés ? La Tunisie a bien plus besoin de mesures concrètes que de guerres idéologiques. Ce qui compte avant tout est le quotidien des femmes qu’il faut améliorer immédiatement.
4. L’héritage, est-ce efficace en soi ?
L’héritage comme un mode de transmission de la richesse est un modèle en crise. Jusqu’à deux siècles en arrière, les gens héritaient à un âge « raisonnable », où l’argent est le plus utile. Aujourd’hui, avec l’allongement de l’espérance de vie, l’héritage, dans une très grande majorité de cas, arrive très tard, et dans 50% des cas après 60 ans, soit après le départ des enfants (le schéma ci-dessous concerne la population anglaise, la Tunisie a un petit retard démographique mais est sur le même chemin).
Cet âge rehaussé de l’héritage fait en sorte qu’il ne peut être utilisé là où l’on a besoin le plus : Pour se marier, fonder une famille, avoir des enfants, acheter une maison, lancer un investissement et autre.
5. L’héritage, est-ce une affaire de tous ?
Rappelons que l’inégalité de patrimoine entre classes sociales est de loin plus importante que l’inégalité de patrimoine homme femme (et ce fut toujours le cas). Ci-dessous j’ai essayé de construire la distribution du patrimoine moyen brut par décile pour la Tunisie. J’ai commencé par utiliser un graphe similaire du patrimoine moyen brut par décile en France (publication de l’INSEE), j’ai supposé par la suite une distribution identique entre la France et la Tunisie (les coefficients de Gini des salaires étant comparables), et j’ai multiplié les chiffres moyens par décile pour le cas français par le ratio du patrimoine moyen par habitant entre Tunisie et France (les patrimoines moyens par pays sont publiés chaque année par crédit suisse), et le taux de change euro dinars pour passer à un numéraire en dinars tunisiens.
Ce genre de graphe peut laisser perplexe dans un premier temps vu l’ampleur des inégalités, le dernier décile ayant 600 fois plus de patrimoine que le premier décile (C’est pourquoi la gauche marxiste a longtemps estimé, à tort, que le féminisme est un combat bourgeois qui détourne l’attention de la lutte sociale). Une deuxième observation serait que pour 50% de la population, le patrimoine moyen est en dessous de 25000 dinars.
L’héritage comme proportion du patrimoine total (acquis et hérité) varie en général entre 20 et 80%. Le graphe ci-dessous montre l’évolution du pourcentage du patrimoine hérité pour un ensemble de pays européens. On voit une baisse du ratio lors des années à forte croissance économique post WWII. Vu que le niveau de croissance Tunisien est longtemps resté supérieur au niveau européen, Il est probable que la part héritée du patrimoine pour le cas tunisien se situe en dessous de 50%, ce qui veut dire qu’il faut, grossièrement, diviser les déciles du patrimoine par 2 pour construire les déciles de l’héritage.
Maintenant, Pour les premiers déciles, et si la culture locale veut que l’homme prenne en charge exclusivement certains frais (mariage, prise en charge financière des parents âgés en cas de besoin, …), ces chiffres ne seraient pas comparables aux montants de l’héritage ? Certes, ce raisonnement qui relie dépenses et inégalité de l’héritage atteint rapidement ses limites pour le dernier décile et les grandes fortunes mais force est de constater déjà que l’héritage en soi impacte les différentes couches de la société d’une manière très hétérogène.
6. Une inégalité des dépenses peut-elle compenser une inégalité de l’héritage ?
L’héritage (transformé en flux continu dans le temps et incluant à la fois les donations quand le donateur est encore vie et ce qu’il lègue après sa mort) comme pourcentage du revenu (moyen reçu au cours d’une vie, inclut salaires, pension, revenues de travail mais aussi de capital et de plus-values) dépend de trois facteurs : Le ratio patrimoine/revenu, le taux de mortalité, et le ratio du patrimoine au moment du décès divisé par le patrimoine moyen.
Sans rentrer dans les détails de chacun de ces trois facteurs, l’intuition première est que plus la croissance économique est importante et plus la part de l’héritage (donc ce qui a été légué essentiellement par les parents et grands-parents) est faible par rapport aux revenus. Ceci est parce que l’héritage reflète la santé de l’économie d’il y a quelques décennies en arrière alors que les revenues représentent une image instantanée de l’économie actuelle (Après une longue période de croissance, les parents et grands parents sont pauvres relativement à leurs enfants)
L’image ci-dessous issue des travaux de l’économiste français Thomas Piketty, montre l’évolution de l’héritage comme pourcentage des revenus totaux. Les deux courbes représentent la même valeur mais sont calculés de deux manières totalement différentes : la première, selon les flux économiques, multiplie les ratios patrimoine/revenu, taux de mortalité, et patrimoine au moment du décès / patrimoine moyen, alors que la deuxième courbe, basée sur des flux fiscaux, calcule directement le flux de donations et d’héritages. Les deux mesures, basées sur des méthodes très différentes, convergent très bien.
D’une valeur initiale de 25% en 1900 (Tous les héritages reçus au cours d’une vie représentent en moyenne 25% des revenus totaux gagnés au cours d’une vie), l’héritage baisse rapidement et représente à peine 4% lors des trente glorieuses (Effet de croissance vigoureuse comme expliqué précédemment), puis remonte légèrement pour représenter ~15% aujourd’hui. L’Angleterre affiche des ratios encore plus faibles, en dessous de 5% comme ratio héritage/revenus.
Les chiffres ne sont pas disponibles pour la Tunisie, mais le ratio sera probablement proche voire plus petit vu que le ratio patrimoine/revenu est clairement plus faible pour la Tunisie que la France. (Selon les données de crédit suisse pour le patrimoine moyen par pays, le patrimoine français représente entre 6.5 et7 années de PIB français alors que le patrimoine Tunisien représente à peine 4.5 années de PIB tunisien). Osons faire un constat : L’héritage en tant que flux financier ne représente pas grand-chose, en moyenne.
Supposons que 15% est un chiffre adéquat pour la cas Tunisien. Prenons acte que la loi actuellement appliquée en Tunisie alloue (d’une manière agrégée et grosso modo) 2/3 de cet héritage aux hommes (10% des revenus) et 1/3 aux femmes (5% des revenues). Suffit-il que les hommes transfèrent 2.5% des revenus totaux (donc 5% de leurs revenues si on suppose que les hommes et femmes se partagent les revenus économiques à égalité, moins si la part des hommes dans les revenus et plus grande) vers les femmes pour compenser l’inégalité dans d’héritage ?
Le résultat est certes contre-intuitif, mais la croissance économique vécue au cours des derniers siècles, en baissant le ratio héritage / revenu, a fait en sorte qu’il est plus facile de compenser une inégalité d’héritage par une inégalité de dépenses aujourd’hui qu’à l’époque médiévale (Le ratio patrimoine/revenues fut plus élevée à l’époque à cause de la valeur des terres comme principal capital). Ces chiffres sont certes à examiner avec prudence, et le ratio héritage/revenu sera légèrement supérieur si on prend en compte uniquement les revenus disponibles (en enlevant taxes et prélèvements étatiques), mais l’ordre de grandeur de ces chiffres prouve qu’il est théoriquement possible de compenser cette inégalité d’héritage par une inégalité des dépenses.
Les limites de ce raisonnement est qu’il s’applique d’une manière agrégée, et échoue à matcher l’inégalité d’héritage par une inégalité de dépenses pour les grandes fortunes (encore moins pour les cas individuels). En d’autres termes, Si les deux modèles (égalité de l’héritage et des dépenses vs inégalité de l’héritage et des dépenses) sont bien calibrés sur l’ensemble total, ils auront un effet différentié sur les individus.
7. Entre égalité des lois et Inégalité des aboutissements
Maintenant, et puisqu’on a affirmé que l’égalité est une solution (parmi d’autres) à examiner pour corriger l’injustice subie par les femmes (Et que l’état ne doit y déroger que dans les cas où une majorité de citoyens, et en particuliers de femmes votent contre), examinons l’état actuel de la condition féminine dans des pays occidentaux, ayant inscrit l’égalité stricte dans leurs textes de loi depuis des décennies, et dont les sociétés sont très réceptives aux idées de l’égalité des sexes. (L’idée est que le lecteur devine l’issue du même processus pour la Tunisie)
a. Inégalité de pension & de revenu
Ce schéma montre l’inégalité des pensions de retraite entre hommes et femmes. La différence tourne autours de 40% et est plutôt homogène pour tous les pays (même au sein des pensionnés uniquement pour éliminer l’effet de la différence du taux d’emploi entre hommes et femmes). Cet écart s’explique par la différence de salaire (qui tourne autours de 15 à 20% pour la plupart des pays de l’OCDE) mais aussi par la proportion plus importante des femmes à temps partiels, ou les interruptions temporaires de travail des femmes suite à la naissance des enfants.
Le schéma ci-dessus montre l’écart relatif de la pension entre hommes et femmes selon le nombre d’enfants. Il est clair que la maternité pèse sur la santé financière des femmes. Ces dernières se retrouvent donc dans un dilemme quasiment impossible à résoudre : Choisir entre enfants et carrière/Indépendance financière. (Le schéma ne montre pas pour autant une relation de causalité)
Le schéma ci-dessous montre la pénalité de maternité sur les revenus d’une femme comparé à celles des pères pour six différents pays. L’effet sur les revenus d’une femme est substantiel alors qu’il est très faible pour les hommes. Même après 10 ans, cet effet varie de 20% au Danemark à presque 60% en Allemagne. (La différence de revenus avant et après la naissance inclut les différences de salaire, mais aussi le passage au temps partiel et la sortie du marché du travail)
b. Emplois à temps partiel
Ce graphe montre la proportion des hommes et femmes qui travaillent à temps partiel pour un certain nombre de pays européens. Un très grand gap se dégage entre la proportion des hommes et des femmes qui optent pour le temps partiel. Pour les pays de l’Europe du sud et de l’est où le gap semble réduit, la raison est que le taux d’emploi des femmes est faible (les femmes qui auraient opté pour le temps partiel ont choisi de rester chez elles).
Un pays se dégage clairement de la mêlée, et c’est les Pays-Bas avec presque 80% de femmes qui font du temps partiel. Maintenant, on peut argumenter que les femmes hollandaises sont parmi les plus heureuses au monde (selon des enquêtes de bonheur effectués dans plusieurs pays) et que c’est leur choix personnel alors que l’état a permis l’égalité des chances au départ.
C’est à elles donc d’assumer la vulnérabilité financière qui en découle, et les inégalités de patrimoine qui sont la conséquence directe et qu’on examinera par la suite sont en quelque sorte en dehors de la responsabilité de l’état, mais, en même temps, la maternité est-elle un vraiment un choix (comprendre libre et sans contraintes biologiques, psychologiques et culturelles ?)
c. Pourcentage des femmes dans les haut revenus et grandes richesses
Les femmes restent très peu représentées dans les plus grandes fortunes mondiales, et y arrivent à intégrer ce classement grâce à l’héritage dans une très grande majorité de cas. Ainsi, moins de 1% des femmes ont pu construire leur propre fortune, contre plus de 12% qui l’ont héritée. A l’opposé, les hommes héritiers sont à un pourcentage de 24%, alors que les hommes autodidactes sont à plus de 63%.
Pour ce qui est des revenues, ce schéma montre le pourcentage des femmes au sein de la population active, mais aussi au sein des catégories de travailleurs les mieux payés (10%, 1%, et 0.1% les mieux payés) en Suisse. L’inégalité des sexes parait dramatique malgré le léger rattrapage.
d. Inégalité de patrimoine
Concluons maintenant par une analyse des inégalités de patrimoine qui sont la synthèse des éléments exposés ci-dessus. Le graphe ci-dessous montre le patrimoine des femmes en tant que pourcentage du patrimoine des hommes pour un certain nombre de pays européens. Un ratio égal à 1 reflète une égalité parfaite.
Pour la moyenne de l’Europe des 15, ce ratio est de 70% environ. Pour des pays comme les Pays-Bas, ce ratio baisse à 30% pour la médiane et moins de 50% pour la moyenne (Ce n’est pas par hasard que c’est le même pays où les femmes sont à 80% en temps partiel, et sont pourtant très heureuses). Si maintenant on applique l’égalité stricte dans l’héritage mais aussi pour la pension alimentaire et toute autre mesure financière en Tunisie où le taux d’emploi des femmes est en dessous de 30%, qu’elle est la prédiction du ratio de patrimoine hommes/femmes pour la Tunisie pour les années à venir ? Ferons-nous mieux ?
Au vu des éléments d’analyse qu’on a synthétisé à propos de l’avis majoritaire des femmes tunisiennes, de la relation héritage / revenus et de la possibilité de compenser (égaliser des flux en moyenne) l’inégalité d’héritage par une inégalité de dépenses, de l’inégalité des aboutissements qu’on recense dans tous les pays qui pratiquent une égalité stricte homme femme (et du gap entre les attentes des femmes et leur réalité, ce qui engendre ce qui est communément appelé le paradoxe du déclin du bonheur féminin, les femmes étant de moins en moins heureuses depuis 1970) et de l’extrême lenteur du processus de rattrapage, quelles solutions peut-on envisager si la proposition de COLIBE ne passe pas au stade de loi ?
8. Mesures palliatives au cas où une majorité refuse l’égalité dans l’héritage et l’égalité des dépenses
• La première étape doit être une transparence totale sur tous les chiffres d’inégalité homme-femme : Ceci doit être l’étape numéro 1 avant toute mesure de correction des inégalités hommes femmes. Ainsi, l’analyse rigoureuse précède l’action. Le débat actuel en Tunisie reste prisonnier des positions idéologiques et n’est pas assez quantifié.
• Un mélange entre égalités des chances, et égalités des aboutissements : si on accepte en économie que l’égalité théorique des chances entre citoyens ne fonctionne pas parfaitement (euphémisme), et qu’il faut un système vigoureux de redistribution pour corriger les inégalités de la société. Pourquoi ne pas appliquer un système similaire entre hommes et femmes ?
Ainsi, on peut définir un gap maximal de 30% entre le patrimoine des hommes et des femmes. Si le gap dépasse 30% des mesures de redistribution directe de richesse s’appliqueront entre hommes et femmes. (De la même manière, je pense qu’il faut définir un coefficient de GINI maximal, au-dessus duquel des mesures automatiques de redistribution fonctionnent pour le ramener en dessous de cette valeur plancher)
• Taxer exclusivement le patrimoine des hommes. Une taxe progressive et à partir d’un certain âge (pour favoriser l’initiative des jeunes) et un seuil de patrimoine (exclusivement pour le 10ème décile par exemple pour épargner les petits patrimoines) peut générer beaucoup de recettes à l’état et réduire immédiatement le gap de patrimoine (Plus l’inégalité est importante, plus on a besoin de mesures dont l’efficacité est immédiate).
• L’argent de cette taxe sera utilisé pour distribuer une prime universelle et égalitaire à tous les citoyens lorsqu’ils atteignent l’âge de 25 ans, indépendamment du sexe et de la classe sociale. (Réduit les inégalités hommes-femmes mais aussi les inégalités de classes). Cette mesure permet que l’héritage arrive au moment où il est le plus utile, et élimine partiellement l’inégalité homme-femme.
• Réserver des quotas majoritaires aux femmes pour les métiers adaptés au temps partiel (sans les décourager du droit naturel et légitime de travailler à plein temps !). Exemple : la santé, l’enseignement, l’administration (c’est prouvé statistiquement que féminiser les corps de l’état baisse la corruption). Cette mesure s’applique avec l’hypothèse que les femmes préfèrent travailler à temps partiel (ce que les statistiques le montrent) et vise en premier lieu à empêcher les sorties prématurées de ces dernières du marché du travail et non à ce que les femmes qui travaillent à temps pleins et allient très bien travail et famille passent en temps partiel.
• Imposer des cotas minimales aux femmes dans les entreprises privées à partir d’un certain nombre d’employés. Ces cotas doivent être respectés pour tous les niveaux hiérarchiques pour favoriser la progression professionnelle des femmes à l’intérieur de ces entreprises (La majorité des enseignants universitaires en Tunisie sont des femmes, mais une petite minorité de femmes atteint le grade de professeur). Imposer aussi un gap maximal de salaire de 10% au sein de chaque grade hiérarchique entre les hommes et les femmes.
• Offrir la possibilité d’un compte à terme où les femmes peuvent verser un pourcentage de leur salaire brut. Au bout d’une certaine période prédéterminée où l’argent reste bloqué, les retraits deviennent défiscalisés et plus généralement offrir un taux d’épargne supérieur aux femmes sur les comptes à terme. Ce taux d’épargne doit être supérieur à l’inflation. Ces deux mesures favorisent l’épargne des femmes (et la consommation par les hommes).
• Exemption totale des femmes du service civile/militaire. (Tout en encourageant le principe de volontariat).
• Donner plus de congés payés aux femmes entre 25 et 45 ans, le schéma peut être graduel avec plus de congés par enfant jusqu’à un certain nombre limite (Les femmes peuvent ainsi faire des semaines 5/6 ou 4/6, le manque à payer ne sera pas pris en charge par l’employeur mais partiellement par un fond étatique de promotion du travail de la femme et versé sur des comptes à terme). L’idée est d’éviter que ces femmes soient obligées de sortir du marché de l’emploi après la naissance des enfants (et non que les enfants soient le fardeau des femmes seules).
• Contributions différentiées au régime de retraite, avec une tranche solidaire, financée uniquement par les hommes et distribuée à tout le monde, pour compenser les années de non cotisation des femmes suite aux longs congés de maternité ou à cause du temps partiel. Notons aussi que les hommes se marient en général avec des femmes moins âgées qu’eux (3 ans en moyenne en France), et que les femmes vivent en moyenne plus longtemps (5 ans d’écart en France), impliquant de facto un transfert financier des hommes vers les femmes notamment au moment de la retraite.
• Contributions différentiées au régime de couverture sociale, avec une couverture de base pour tout le monde qui soit payé uniquement par les hommes, et une couverture supplémentaire payé par chaque citoyen pour lui-même. Sachant que les dépenses publiques de retraite avoisinent les 14% en France, et que les dépenses de santé avoisinent les 12%, la part des deux centres de dépense dépasse largement la part de l’héritage dans le revenu (environ 15%). L’idée des deux dernières mesures est donc de forcer une inégalité des dépenses (les hommes ne pourront plus y déroger) pour compenser l’inégalité dans l’héritage. Les dépenses de retraite et de santé se révèlent parmi les plus importantes et leurs parts va en s’agrandissant dans les années à venir.
9. Conclusion
L’article ne discute pas du bien-fondé de l’égalité dans l’héritage comparé à la loi actuelle appliquée en Tunisie. Toutefois il prend acte de deux faits à réconcilier : Une majorité de personnes, en particulier de femmes, sont contre l’égalité dans l’héritage, et en même temps une injustice financière subie par les femmes est facilement perceptible et doit être traitée adéquatement.
Il examine donc la possibilité de compenser l’inégalité dans l’héritage par des mesures qui rétabliront une égalité (équité) sur le niveau global. Une discrimination positive en faveur des femmes se révèle alors une solution qui présente des atouts d’efficacité et de rapidité. Via une synthèse de chiffres clés, on montre la possibilité que cette justice soit quantifiée (Et non une notion floue et élastique), rapide et efficace, comparée à un processus qui commence par inscrire l’égalité stricte dans des textes de loi, et qui peut se révéler par la suite très lent pour porter ses fruits et réduire l’inégalité homme-femme (Ce que les chiffres des pays occidentaux prouvent encore aujourd’hui, malgré un contexte plus favorable).
Il convient alors de voir l’inégalité dans l’héritage comme une sorte de pacte financier ou contrat d’assurance, voulu par une majorité de femmes, où ils cèdent une partie de leurs héritage (prime ou jambe fixe) pour bénéficier d’un certain nombre d’avantages variable en leurs nature (Non-taxation du patrimoine, contribution allégée aux régime de retraite et de couverture sociale, accès privilégié aux postes étatiques, exemption du service militaire, facilité accrue de balancer travail et vie de famille et un taux d’épargne supérieur). La justice revient donc à bien valoriser ce produit financier.
Mon espoir, enfin, est que cet article soit interprété comme une contribution humble et personnelle pour sortir des querelles idéologiques et des bras de fers politiques, et une tentative sincère d’avancer la condition féminine, tout en se pliant à la volonté des femmes elles-mêmes et non pas en leurs imposants nos propres visions et croyances. Et Vive les femmes !