« C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal* »

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Les récents actes racistes [ Rapport de la CNCDH ] et islamophobes [ Carte des actes islamophobes en France ] qui ont frappé de nombreux citoyens issus du continent africain les rappelant à leur origine et à l’histoire de la mise en esclavage et de la colonisation portent en eux plusieurs facteurs. D’une part, ces actes prouvent que les esprits se sont libérés du carcan de l’égalité qu’ils trouvaient trop anachronique, trop lourd à respecter alors qu’il leur avait été imposé –de leur point de vue- par le développement des politiques orientées par les droits de l’homme, dont la non-discrimination et le respect de la dignité humaine.

Ces politiques n’ont pas réussi à anéantir l’impensé raciste, même après les indépendances africaines ; elles ont juste permis de cacher le racisme basé sur l’essentialisme biologique et de focaliser sur l’essentialisme culturel. Ce déplacement conceptuel a conforté le néo racisme en lui conférant une invisibilité face aux outils de la lutte anti raciste adaptés au racisme universaliste et non au racisme différentialiste.

Et cela, évidemment, n’a pas permis de mettre à distance la croyance d’une « civilisation supérieure ». L’Occident gardant pour nombre de personnes, dont les élites politiques et intellectuelles, l’auréole qu’il brandit depuis le Siècle des Lumières et qui justifie en elle-même l’idée de la suprématie d’une pensée « blanche ».

D’autre part, c’était sans compter avec les ravages de la mondialisation. Si dans les années 70-80, le rôle de l’Etat, en tant que régulateur des rapports sociaux, était ouvertement revendiqué, de nos jours, ce rôle se trouve profondément érodé par l’offensive idéologique et politique du capitalisme mondialisé. Cette offensive a pour conséquence un vrai recul des fonctions de l’Etat sur le plan de l’exercice traditionnel de ses compétences. Les pouvoirs publics se contentant de réguler juridiquement les privatisations ainsi que la vente de biens publics aux transnationales, de gérer les « restructurations », les licenciements et les délocalisations qui en découlent.

De fait, en tant que facteur politique et social de régulation, l’Etat a perdu et son rôle de redistributeur de richesses par la politique fiscale et celui de la mise en place de politiques portant sur l’emploi, l’éducation, la santé, la culture… En un mot, l’Etat est réduit au rôle de gardien des intérêts privés. Le pouvoir politique, enfoncé dans une profonde crise de crédibilité et de légitimité, devient le facteur qui véhicule « les valeurs » du capitalisme et les mots d’ordre l’accompagnant -compétitivité, récompense au mérite, responsabilité individuelle, égalité des chances, bonne gouvernance, peur de l’autre avec en regard la fabrique d’un ennemi de l’intérieur- sont devenus l’orientation principale des politiques étatiques. L’objectif étant l’accaparement de la richesse au profit d’une minorité.

Dès lors, le système désigne à la vindicte populaire toutes les personnes qu’il estime de trop ; trop de migrants, trop de Roms, trop de Chabanis, trop de musulmans, trop de femmes voilées, trop de chômeurs, trop de malades, trop de pauvres, trop de personnes sans logis, trop de sans-papiers… Cette liste peut s’allonger ad libitum.

Le résultat est sans appel : les femmes et les hommes sont traités à la fois, comme une ressource exploitable que l’on peut sélectionner, évaluer, éliminer et comme une marchandise que l’on peut jeter ou remplacer. La forme de gestion portée par le système capitaliste libéral n’est pas sans rappeler la façon dont étaient traités les êtres humains maintenus en esclavage ou sous colonisation.

D’accusations larvées en petits mots stigmatisants, du raidissement sur l’idée phantasmée d’une France de souche, seule capable de sauver cette France, aux agressions physiques empreintes d’islamophobie et de mots orduriers jetés à la face de citoyens français, y compris ayant des fonctions ministérielles, les élites politiques et intellectuelles ont, en donnant le « la », autorisé la libération de l’impensé raciste et ce retour au racisme biologique.

Il devient indispensable que ces élites cessent de favoriser la permanence de la colonialité* aussi bien dans les rapports sociaux et dans les institutions que dans les relations internationales de façon à promouvoir des politiques qui font exister « l’agir en commun, égaux et différents [1] »

En définitive, 50 ans après les indépendances, on peut dire que si le colonialisme n’existe plus sous ses formes directes et brutales, la colonialité n’a jamais disparu des esprits et particulièrement de ceux qui dominent et organisent le monde en fonction de leurs intérêts.


* Mireille Fanon-Mendes-France Experte ONU

* Hannah Arendt, « Le système totalitaire », Le Seuil (collection « Points / Essais », no 307), 2005

[1] Hannah Arendt, « Condition de l’homme moderne », Paris : Calmann-Lévy, Coll. Agora les classiques, 1983

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