La Nation algérienne a-t-elle besoin d’un roman national ? C’est la question que l’on peut se poser en lisant les déclarations, contributions et articles qui fleurissent à la suite de l’immixtion de la justice et de l’emprisonnement d’un des contributeurs.
Les polémiques en cours portent-elles réellement sur l’élaboration de ce roman national ? Ou révèlent-elles des questions nouvelles qui ébranlent la conception dominante de la Nation partagée jusqu’ici ? La seule certitude, c’est que la question des libertés d’opinion et d’expression ressurgit et vient une nouvelle fois confirmer le grand besoin national en libertés individuelles. Aucun domaine de la vie de la Nation et de ses citoyens ne peut être abordé sérieusement et sereinement sans un climat de liberté.
Le rôle de l’État est de protéger et de favoriser l’instauration d’un tel climat seul compatible avec la paix civile.
La nation algérienne romancée
La définition du roman suffit déjà à s’interroger sur la difficulté à mêler histoire et roman. Le roman est un mélange de réel et d’imaginaire. Élaborer un roman national, c’est reconnaitre que l’on ne se contentera pas des faits historiques. On fera appel à des faits imaginaires. L’objectif généralement partagé est de conforter les citoyens dans leur sentiment d’appartenance à la Nation.
C’est là toute la difficulté. Le choix des faits imaginaires répond forcément à des choix idéologiques. Précisons que mêmes les faits historiques réels sont l’objet de trituration pour les rendre « conformes » à l’idéologie de référence. Notre histoire nationale a été abordée sous l’angle de la lutte de classes dans le cadre du choix socialiste.
Elle a été lue également sous l’angle de l’arabo-islamisme. Elle est actuellement revisitée sous l’angle de l’appartenance de l’Algérie à la civilisation amazigh. La volonté de rechercher des racines lointaines à la Nation algérienne fait attribuer à des faits historiques anciens des vertus nationalistes ou proto-nationalistes. La subjectivité est donc de mise. Les conflits idéologiques inévitables. La division également. La Nation se retrouve en question.
Les Algériens semblent avoir tous fait l’école de la 3ème république française née en 1870. En effet, après la chute du 2ème empire de Napoléon III, cette miraculeuse république née de la division des partis royalistes, a entrepris une action volontariste de légitimation de l’État-Nation français. Elle a fait usage du roman national. Jusqu’à présent, les Français sont partagés sur le plan historique.
On peut distinguer ceux qui se réclament de Vercingétorix le gaulois qui inscrit la profondeur de la Nation française dans l’Antiquité. Thèse mise en valeur par la 3ème république. Les autres voient en Clovis 1er roi des Francs au 5ème siècle, le souverain qui apparente la France à la Chrétienté comme « la fille ainée de l’Église ». Ces divergences sur l’histoire de France n’ont aucune conséquence dramatique.
Les Français qui vivent dans un pays démocratique échangent en toute liberté leurs conceptions. Ce n’est malheureusement pas le cas des Algériens. Leurs divisions ont des conséquences politiques.
Affronter le présent
Il n’est pas rare de voir deux universitaires certainement acquis à l’idéal de l’État de droit, s’opposer sans retenue sur la question de l’histoire de l’Algérie. El Mokrani et Abdelkader deviennent l’objet de critiques ahistoriques. Ces deux personnalités sont soumises à des jugements partiels et partiaux. Le manichéisme qui sous-tend ces jugements fait fi du contexte historique et des idées qui lui sont liées.
Leurs relations avec les autorités françaises sont jugées selon des critères utilisés à une période récente pour en faire des « Harkis » ou des « libérateurs ». Réductrice et fortement idéologisée, cette démarche est dévastatrice. En fait, l’histoire est convoquée pour valider ou invalider des positions politiques présentes qui tiennent à la conception de la Nation. Une question s’ensuit inévitablement. La Nation algérienne a-t-elle besoin d’un roman national pour conforter le sentiment d’appartenance à la Nation ? Un tel besoin est source de conflits sans fin.
Il contribue à faciliter le rôle de l’État autoritaire. Ce dernier repose sur l’arbitraire parce qu’il s’oppose au droit universel. Ses justifications ne se localisent pas dans le présent, ce présent au parfum de liberté et de démocratie. Ses justifications, il cherche à les confectionner dans le passé, ce passé dont les faits sont soumis à interprétation et dont au besoin, il est possible de combiner mémoire et imagination. Surtout quand l’État autoritaire dispose de l’école et des mass-médias. Faut-il, pour autant déserter le terrain historique ? Certainement pas.
Mais, il faut laisser une plus grande place aux études historiques, aux historiens nationaux et étrangers dont la confrontation d’idées éclairera certainement notre passé. Il faut, cependant, affronter notre présent. Notre présent est soumis au choix de la Nation ethnique ou de la Nation civique.
Les constantes nationales dogmatiques ou les libertés fondamentales de l’homme et du citoyen ? L’État central autoritaire ou l’État de droit ouvert à la démocratie déclinée à tous les niveaux ? C’est de la réponse à ces choix que dépendent le bonheur des Algériens et leur sentiment d’appartenance à une même Nation.