Nos échecs, nos richesses, nos luttes

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La répression s’organise. Ose. Elle va aller loin. Chercher chacun dans son angle, soumettre à l’interrogatoire. Comment est-ce possible après une révolution aussi belle, puissante, forte et singulière ? Parce que nous avons fait des erreurs. Certaines sont rattrapables. D’autres pas. Nous avons laissé passer l’occasion de notre force pour aller vers le moment de notre faiblesse. On dirait que, pour certains, l’effet de scène, de la révolte en show, était plus grisant que le moment «politique», de négociation, d’organisation. Marcher nous a fait oublier que le Régime pouvait se relever. Qu’il pouvait ressusciter et qu’on pouvait «re-mourir». Il le fait.

Pourquoi se relève-t-il ? Parce qu’il a réussi quelques-unes de ses ruses. La première a été de jouer sur la cupidité des islamistes. Ceux-là adorent le pouvoir au point de négocier leur mère contre une délégation ou une députation. Aujourd’hui, la presse islamiste défend les choix de l’armée avec les ferveurs d’une courtisane qui retrouve le privilège du lit. On le lit dans leurs journaux, on le sait et on sait pourquoi.

On perd aussi parce qu’on a «kabylisé» le mouvement. Le régime a su jouer sur le trauma des printemps assassins, la blessure de l’identité refusée et refoulée, le drapeau, l’unité, l’unanimité. Du coup, l’arc-en-ciel éclata en couleurs divergentes. On se retrouva à revendiquer une réparation, pas une libération. Une reconnaissance, pas un État.

Ainsi émiettée, la révolution pouvait être réprimée. On ne réprime plus, alors, des Algériens, mais des « dissidents», des «séparatistes», des «autonomistes». La propagande habile trouva dans l’émotion des victimes un argument, paradoxalement, un allié. Le Régime a su isoler la revendication d’un pays et la transformer en revendication identitaire régionale. Habitué à frapper la Kabylie, il frappa la Kabylie.

Il suffisait de replonger les autres régions du pays dans le silence et le sommeil et l’indifférence. La réparation identitaire est essentielle pour notre guérison et la construction de notre puissance et de notre bonheur. Elle s’exprime par l’émotion et par la culture qui résiste. Mais le Régime sait, surtout, comment manipuler cette émotion. Il l’a fait.

Une région qui a raison, seule, n’a pas raison. Elle est seulement seule. A la fin, on passe, à cause de la répression, de l’exigence de libérer un pays, à la demande de libérer certains détenus. On est enfermé dans le cycle manifestations-arrestations. On dégrade l’ambition en résistances quotidiennes.

On n’a pas su, aussi, saisir le moment du consensus. De la confrontation, le Régime en est sorti uni, cohérent, logique, l’opposition par la rue ne l’était pas. Un Algérien lambda, fatigué, inquiet, va conclure au plus simple : l’armée a arrêté les méchants, chassé Bouteflika, empêché le 5ème mandat et sécurise le pays. Que fait l’opposition ? Elle parle, marche et n’arrive même pas à s’entendre ou à être claire dans ses propos. L’inquiétude choisira la sécurité, à la longue, pas l’intellectualité. Le Régime a joué sur le temps. Il a allongé le match à dix mi-temps et le stade commença à se vider. Ce qui est humain.

Ensuite le Régime avait un représentant, d’une manière ou de l’autre, la «rue» n’en avait aucun. C’était le dialogue d’un bavard avec un muet. A la fin, cela provoqua l’envie d’être sourd. Les Algériens sont conservateurs, ruraux, habitués à l’autorité unipersonnelle, sensibles à une organisation politique par leaders et chefferies centralistes, peu habitués à l’horizontalité.

Elle devient inquiétante dans un pays avec des frontières paranoïaques et qui n’est un pays libre, ou presque, que depuis peu. On n’a pas su être clair, aller dans les villages et réoccuper l’espace. Si aujourd’hui le Régime peut frapper, c’est qu’il se sent légitime. Non par les urnes, mais l’offre de sécurité et d’ordre. «Je frappe certains pour le bien de tous» dit le nouveau Régime. Alors que le Régime de Bouteflika était, vers sa fin infinie, «je frappe tous pour le bien de certains».

Que faire ? Beaucoup. Rappeler aux islamistes qu’ils sont bons commerçants de bazar mais que leur deal va les perdre. Comme en Égypte ou ailleurs. Ils finiront en prison ou exilés assistés et otages alimentaires en Turquie. Rappeler aux opposants qu’il y a une urgence absolue à clarifier les propositions, les offres, les idées et les discours. Rappeler aux Algériens qu’un Régime qui va mourir est plus féroce qu’un Régime qui vient de naître.

Rappeler à la Kabylie qu’il faut être plus intelligent que la douleur et le souvenir de la douleur. Rappeler que faire de la politique c’est faire des compromis et être plus malin que l’impatience. Et rappeler aux plus impatients que pour beaucoup d’Algériens, avoir une maison c’est mieux que d’avoir raison. C’est humain.

Ce procès est celui d’un passionné amoureux. Il est cruel et nécessaire. Il est injuste avec l’effort et le sacrifice de beaucoup. Il oublie que si on s’oppose mal c’est que le Régime a su tuer, presque, le courage, l’organisation et la force en nous. Qu’il a les armes et le pétrole qui le rendent fort et malveillant. Bien sûr, c’est un procès de confort alors que notre situation ne l’est pas : entrer dans le jeu électoral du Régime c’est perdre un peu de son âme.

Mais ne pas aller vers le «politique», les élections rapidement, la négociation, cela veut dire la destruction de l’État, l’effondrement, la radicalisation, le populisme et l’islamisme, la crise alimentaire ravageuse et le retour de la dictature la plus féroce.

Alors nous devons gagner, patiemment, intelligemment, avec conscience de nos limites et en imaginant des transitions qui incluent les intérêts d’un Régime qui a l’argent et les armes. Nous perdrons si nous perdons la lucidité au prétexte de la passion.

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