Le dernier discours du général Gaïd Salah, inscrit dans la continuité d'une démarche arrogante, aveugle et à contre-courant du temps et de l'état d'esprit du peuple algérien, révèle plus que tous ceux qui l'ont précédé, le déphasage entre une institution militaire qui manque cruellement de stratégie politique et des manifestants qui savent, eux, ce qu'ils veulent et, surtout, ce dont ils ne veulent plus.
Or, ce dont ils ne veulent plus, c'est précisément cette insupportable manie de vouloir décider pour eux, comme persiste à vouloir le faire le chef de l'état-major. « Ces présidentielles que nous considérons réellement comme la clé pour accéder à l’édification d’un Etat fort avec des fondements sains et solides", clame le général. Exécution ! Pas de débat sur ça !
Au nom de quoi l'institution militaire "considère-t-elle que les présidentielles sont la clé "N'est-il pas temps de s'arrêter sur les cafouillages de l'institution militaire, qui, objectivement, depuis trente ans, et surtout depuis 1999, proclame une chose et fait son contraire, donnant l'embarrassante impression de tourner en rond et de n'avoir aucune idée de son rôle exact dans le champ politique.
L'institution militaire est aujourd'hui le principal acteur politique elle qui a passé les 20 dernières années à affirmer son légalisme et à jurer ses grands dieux de ne pas intervenir dans le champ politique « quelles qu'en soient les conditions et les circonstances » (El-Djeich de janvier 2018)
Hier, vous étiez une armée "neutre". Hier, vous vilipendiez les personnalités qui vous priaient de prendre vos responsabilités et d'intervenir avant qu'il ne soit trop tard. Aujourd'hui vous menacez ceux qui contestent à l’armée de s’incruster dans le champ politique, en reprenant des arguments inverses.
Hier, vous répondiez à Mohamed Mechati, ancien membre des « 22 », qui vous rappelait votre devoir envers un peuple embarqué malgré lui dans une ténébreuse aventure nommée Abdelaziz Bouteflika. « Nous sommes une institution nationale républicaine pleinement dévouée à assumer son rôle constitutionnel sous la conduite de Monsieur le président de la république… », disaient les chefs militaires avec l'accent du bon potache qui a appris par cœur sa leçon de choses.
L'affaire tournait déjà à la galéjade, voilà qu'elle devenait franchement grotesque : l'Armée soudainement frappée de neutralité dans un pays mis en danger par une clique qu'elle avait hissée au pouvoir. Les poules invitées par le fermier à s'organiser seules pour chasser le renard que l'auguste maître des lieux avait fait entrer dans le poulailler. « L'Armée est neutre ! », répétait-on au sein de la hiérarchie militaire. Neutre devant un conglomérat de la rapine qui organisait à son aise un viol répété de !a République ; neutre devant la menace de troubles sociaux imminents.
Car il faut bien le souligner : c'est durant votre "période de neutralité" que ce sont produits les actes de banditisme, cette incroyable rapine qui a désossé l'Algérie. L'armée qui s'est emparée du pouvoir en 1962 avait l'obligation historique de le restituer au peuple. En 1999, vous avez cru judicieux de le restituer à un homme superficiel, otage de puissants lobbies algériens et étrangers, entouré d'oligarques affameurs. Le « transfert du pouvoir aux civils » s’était transformé en transfert de pouvoir à la mafia.
Jusqu'en mars 2019, votre discours trahissait une persistance dangereuse dans l'illusion historique de croire l'armée comme dépolitisée par miracle, ce qui l'autoriserait à rentrer dans les casernes sans avoir "reconstruit" ce qu’elle avait démoli : l’ambition démocratique du peuple algérien. Tant qu’elle ne le fera pas, elle sera toujours appelée à sortir de la caserne pour remettre de l’ordre, mais à un prix toujours plus élevé.
En 2019, vous voulez récidiver la grave erreur de 1999 ? Organiser des élections présidentielles dans la précipitation, dans la confusion, quitte à revenir, dans quelques années, remettre de l'ordre sur la place, tout cela ne règlera rien.
L'heure est gravissime.
Vous savez bien que Bouteflika a laissé des caisses vides et que l'argent du présent et du futur a été détourné par les coquins qui l'entouraient, que ce personnage sans étoffe a ruiné le pays et démembré l'Etat pour se venger, vous le savez que les années à venir seront les plus dures de toutes celles qu'aura connues l'Algérie : nous irons à l'endettement extérieur dans deux ou trois ans et, très probablement, à l'économie administrée par les puissants argentiers du monde.
Le pays aura besoin d'un pouvoir stable, cohérent et fort, fort de cette force véritable que seule octroie la caution populaire. L'Algérie a besoin d'un président légitime. L'Algérie a besoin d'une nouvelle ambition.
L'Algérien veut s'ouvrir à la vie, prouver ses compétences, vivre sans muselière, basta de la muselière, des mises en garde, du fouet, des menaces ...Cessez d'ériger votre humeur en mode de gouvernance. Il y a plus urgent.