Vers 14 heures, après la prière, comme tous les vendredis, depuis un an, ils avaient encore surgi dans Alger, du fond de leur anonymat , par dizaines de milliers, ces hommes aux visages brûlés par les épreuves, ces femmes au regard résolu et dans lequel Dieu avait déposé l’expression d’un siècle de solitude, des hommes et des femmes aux visages transformés par la détermination et l’espoir, les yeux rougis par l’émotion, partis tôt de leurs quartiers sans couleurs, de Bab El-Oued, de Bologhine, de Hammamet, de Belouizdad, d’El-Harrach, là où il fait toujours gris, mais qui, ce jour-là, étaient illuminés par un audacieux rayon de soleil qui égayait leur colère.
Ils marchaient en jurant, de leur main durcie, tendue vers le ciel, cette main qui sentait l’Akfadou et la Mitidja, cette main qui porte les douleurs de la terre dans ses lignes et dans ses rides, en jurant que le règne des voyous est terminé. C’était leur façon de parler aux martyrs.
Ce 52ème vendredi boucle une année de révolte ! Qui les aurait crus capables d’une telle endurance, d’un si long souffle, d’une si ancienne blessure d’une si vaste envie de vivre ? Voilà une année que les Algériens crient à la face du monde leurs espoirs et leur désespoir.
Une année qu’ils partagent leurs vendredis entre Dieu et l’espoir, pour la 52ème fois d’affilée, un peuple oublié dans ce lointain caveau où gisent les dépouilles de quelques anciennes espérances... Qui a jamais pensé que les Algériens de tous âges, de toutes obédiences, de toutes les conditions, les Algériens, ce peuple qu’on disait condamné par toutes sortes de malédictions, cette population coupable de trop manger, de ne pas assez travailler, de trop procréer, d’avoir, aux dires du président Bouteflika, troqué le passeport vert contre du fromage rouge et, à écouter le Premier ministre Ouyahia, de consommer trop de yaourts, ces êtres si longtemps cobayes silencieux pour toutes sortes d’expériences ratées, qui avaient tout enduré sans gémir, sans trahir, dans le calme et la dignité, ces hommes et ces femmes qu’on faisait sortir dans la rue ou enfermer dans leur maison selon les caprices politiques des gouvernants, ce peuple au nom duquel on rend la mauvaise justice la justice pervertie, avait enfin répondu : « Notre maison restera la rue tant que vous occuperez nos palais ! »
Bien sûr, il y a l’usure, la banalisation de l’héroïsme, la manifestation de ce que Lénine appelait « l’impatience petite-bourgeoise », tout et tout de suite, répondre à la violence par la violence. Mais le Hirak n’est ni un mouvement violent ni une flamme fugitive échappé du brasier. Il ne donne à personne le prétexte pour l’isoler puis le briser. Il est, aujourd’hui, le dernier rempart contre la déchéance de l’Algérie.
Le nouveau Tebboune, désigné contre l’avis du peuple, et son gouvernement, aujourd’hui isolés dans un pays qu’ils sont pourtant chargés de diriger, ont mis du temps pour le comprendre. Nous y reviendrons dans le prochain article.