« Trump président »

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La victoire de Donald Trump a secoué les Etats-Unis et surpris le monde. Elle traduit la montée d’une vague de colère des classes populaires contre ce que l’on appelle les « élites ». Elle signe une réaction historique contre la fracture sociale, mais aussi idéologique et culturelle, aux Etats-Unis qui a vu se développer une politique, mais aussi des médias « hors sol ». Ces mêmes médias qui ont mené une campagne hystérique en faveur d’Hillary Clinton sont aujourd’hui brutalement désavoués. Ils devraient en tirer les leçons ; il n’est pas sûr qu’ils le fassent.

Une victoire, une défaite, un regret

Il y a eu, et c’est évident, des relents racistes dans la campagne menée par Donald Trump, mais les observateurs qui s’y sont attachés et qui n’ont voulu voir que cela ont oublié l’essentiel : cette vague de fond qui montait depuis des mois contre la « finance », contre Wall Street. L’élection de Trump c’est, symboliquement, la victoire de la vie réelle sur la vie virtuelle. Cette élection témoigne aussi, en creux, de ce que le bilan de Barack Obama n’est pas aussi bon que ce que la presse veut bien nous en dire, et que l’économie américaine ne s’est toujours pas relevée de la crise de 2007-2009.

Cette vague, elle aurait pu prendre aussi une autre direction. Bernie Senders, le candidat malheureux de la primaire démocrate, l’incarnait aussi, à sa manière, et certainement de façon plus politique que Donald Trump. C’est la responsabilité historique de « l’establishment » démocrate, des caciques du parti qui n’ont pas hésité à manipuler cette primaire, qui ont outrancièrement avantagé Hillary Clinton, que d’avoir permis la victoire de Donald Trump. Retenons ici la leçon.

La gauche peut vaincre quand elle renoue avec le peuple, jamais quand elle se fourvoie avec les financiers et les grands patrons, la caste journalistique et des artistes aussi changeants qu’inconstants. C’est l’un des enseignements de cette campagne et de cette élection, et il valide en partie la stratégie de Jean-Luc Mélenchon.

Mais, cette victoire et d’abord et avant tout la défaite d’Hillary Clinton. Elle est apparue comme la candidate de la finance ; ses liens avec les grandes banques d’affaires de Wall Street – dont Goldman Sachs – étaient notoires. Elle copinait avec les plus riches et les plus connus. Les liens financiers allaient au-delà, et le rôle de la Fondation Clinton restera à élucider, en particulier ses relations avec les dirigeants de certains pays comme l’Arabie Saoudite et le Qatar. Son comportement, ce mélange de négligence et d’arrogance dont elle a fait preuve dans l’affaire de ses courriels (le emailgate) a été rejeté par une majorité des étasuniens. Ses positions interventionnistes et aventuristes en politique étrangère ont aussi contribué à effrayer aussi une partie de l’opinion.

Les conséquences

L’élection de Donald Trump aura des conséquences importantes, que ce soit aux Etats-Unis mêmes ou dans les relations internationales. Il devra en un sens donner rapidement satisfaction à cette majorité d’américains qui a vu son niveau de vie baisser alors que celui d’une petite minorité explosait. Le vote des états de l’ancienne ceinture industrielle des Etats-Unis, ce que l’on appelle la « ceinture de la rouille » ou rustbelt est à cet égard typique du mouvement qui a porté Trump à la présidence.

Il devra aussi reconstruire le parti républicain, dont une partie de l’élite s’est détournée de lui. Le fait que les républicains demeurent majoritaires au Congrès pourrait l’y aider. Mais, sa politique sera tiraillée entre l’aile la plus réactionnaire du parti et sa volonté de satisfaire ses électeurs, en lançant en particulier de grands programmes d’investissements publics. Il devra, symboliquement, réconcilier les américains avec eux-mêmes alors qu’ils sortent divisés de cette campagne qui a été vue par une grande majorité comme calamiteuse.

Mais, c’est bien dans les relations internationales que les conséquences de l’élection de Donald Trump vont progressivement marquer le plus grand changement. Le Président nouvellement élu n’a pas fait mystère de sa volonté d’améliorer les relations des Etats-Unis avec la Russie, de mettre fin à la sur-extension de l’appareil militaire américain, de revenir à une vision plus réaliste des échanges internationaux, loin des dogmes du libre-échange.

L’heure ne sera plus aux grands traités internationaux, comme le TAFTA ou le CETA. Le protectionnisme est de retour, et il faudra le penser si l’on veut en tirer tous les avantages et mettre en œuvre ces « démondialisation » raisonnée que j’appelais de mes vœux et qui semble aujourd’hui inévitable. Acceptons-en donc l’augure, tout en comprenant que la politique d’un pays comme les Etats-Unis ne bascule pas en quelques jours ou en quelques semaines.

Mais, il est clair que l’élection de Donald Trump est porteuse d’espoir pour les relations avec la Russie, et que la posture de confrontation adoptée par Washington, que ce soit sur l’Ukraine ou sur la Syrie, ne sera pas maintenue. C’est aussi un point positif de cette élection. Souhaitons que cela soit aussi compris dans les pays européens qui ont – stupidement – décidé de maintenir les sanctions contre la Russie.

Les conséquences pour l’idéologie européiste

Plus généralement, cette élection rebat les cartes aussi pour l’Union européenne. Ce n’est pas par hasard si l’ancien Premier-ministre italien, Enrico Letta, dit qu’il s’agit de l’événement le plus important depuis la chute du mur de Berlin. Les élites européistes ont perdu un soutien décisif dans la présidence étasunienne [1], et cela se sent tant aux réactions de Juncker et Tusk, qu’à celles d’Angela Merkel ou de François Hollande. A l’inverse, les personnalités politiques qui contestent cet européisme, de Nigel Farage à Beppe Grillo, en passant par Marine le Pen, se réjouissent de cette victoire de Donald Trump.

Bien entendu, on tentera d’entonner le fameux couplet sur l’Europe fédérale, et l’on cherchera à ranimer les feux moribonds d’une intégration européenne. Mais, les divisions entre les Etats de l’UE ne disparaitront pas par enchantement. Les intérêts de ces Etats vont rester ce qu’ils sont, opposés à toute intégration. Il faudra donc bien, un jour où l’autre, en tirer les conséquences et revenir à cette politique des Nations qui n’exclut d’ailleurs pas la coopération et l’amitié entre ces dites Nations.

A se refuser à cela, les dirigeants européistes prennent le risque d’aggraver la colère qui, elle aussi, bout dans l’Union européenne. Les dénis de démocratie ont été trop nombreux, trop systématiques. Ces dirigeants sont menacés de connaître, à leur échelle et dans leurs conditions, le sort d’Hillary Clinton.

Il est cependant peu probable qu’ils comprennent que nous avons changé d’époque, certes non du fait de cette élection présidentielle qui n’est qu’un élément de plus dans le changement, mais bien parce que nous vivons aujourd’hui, et depuis plus de dix ans, le grand retour des Nations. Rien n’est plus dramatique que quand des élites, qu’elles soient politiques ou culturelles, se cramponnent à une vision du monde que la réalité a dépassée et démentie. On peut, jusqu’à un certain point, vivre dans une bulle. Mais, à un moment donné, cette bulle éclate et il faut payer au prix fort ce monde d’illusions que l’on a construit.


*Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l’EHESS-Paris et au Collège d’économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux. Il est l’auteur de nombreux livres dont le plus récent est « La Démondialisation » (Paris, Le Seuil, 2011).

Notes

[1] Grillo : « Pazzesco, è il Vday di Trump. È finita un’epoca e chi doveva vederlo è già morto ». La Stampa, 9 novembre 2016.

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