Malgré les efforts théoriques pour penser le populisme, il est de plus en plus courant de banaliser et d’utiliser le terme pour attaquer le kirchnérisme. La différence entre fascisme et populisme.
Malgré les efforts d’Ernesto Laclau pour redonner de la dignité au populisme, une catégorie historiquement honnie par l’ignorance, le dogmatisme de gauche et les phobies anti-populistes de droite, l’hostilité n’a pas diminué. Au contraire, ces derniers temps, nous avons assisté à une augmentation significative de la disqualification du terme, en l’utilisant comme une injure à l’encontre du kirchnerisme dans son ensemble : son leader, ses dirigeants, les journalistes et les militants qui composent le mouvement.
L’utilisation insultante du terme va en général de pair avec l’argument selon lequel il s’oppose à la république, en soulignant son homologation avec le fascisme. La prétendue équivalence entre les termes populisme et fascisme n’est pas innocente mais malveillante, anti-politique et en phase avec la montée actuelle des discours de haine.
Dans mon livre Populismo y psicoanálisis (2014) - mon travail de thèse sous la tutelle de Laclau - je différencie et oppose la construction populiste et la construction fasciste. En d’autres termes, le peuple n’est pas la masse, ce qui est propre au fascisme, et, dans une version locale, le péronisme n’est pas équivalent au fascisme.
Dans la dernière théorie du populisme développée par Laclau, dans La razón populista (2008), il est défini comme une pratique politique discursive - militante, ajoutons-nous - qui construit un sujet politique : le peuple et un leader. Cette affirmation a au moins deux conséquences : la première est qu’un nouveau sujet est produit à chaque fois, et la seconde est qu’il s’agit d’un effet ; le sujet du peuple n’est jamais défini dès le départ.
Concernant le débat entre les théoriciens qui s’intéressent au populisme pour savoir s’il est de gauche ou de droite, notre point de vue, qui coïncide avec celui de Laclau, est que le peuple n’est ni un mouvement ni une idéologie, mais une matrice. Cela signifie que le populisme peut ne pas être de gauche, mais qu’il est impossible qu’il soit fasciste ou antidémocratique.
Le fascisme, le néo-fascisme ou, comme on l’appelle actuellement, la droite de la droite, remplace la politique plurielle, les conflits et les antagonismes par la haine et la construction de l’ennemi intérieur. Elle postule une « démocratie » univoque, libérale et sans peuple ; elle ne veut rien savoir de la lutte pour de nouveaux droits et maintient les privilèges de classe comme s’ils étaient naturels.
Le populisme n’est pas une pratique politique quelconque, mais une matrice caractérisée par l’articulation des différences : les revendications populistes. Ces revendications consistent en un mécontentement collectif organisé, qui prend la forme de demandes aux institutions, articulées autour d’un signifiant vide et de la construction d’une frontière qui marque le conflit politique entre le peuple et le pouvoir.
L’hétérogénéité, de barrière antagoniste, devient équivalente, affirmant une nouvelle identité entre les différences, toujours précaire et provisoire. Le fascisme, en revanche, consiste en une tentative totalisante qui recherche l’homogénéité et la construction d’une masse sans antagonismes ni fissures. C’est la même inertie du néolibéralisme, dont la logique consensualiste nie la dimension antagoniste et conflictuelle du politique, entraînant comme effet le plus corrosif la dépolitisation du social.
Dans des travaux répétés, nous avons soutenu que le néolibéralisme, dans son visage actuel d’hyper-concentration, est le retour du fascisme sous une nouvelle forme, qui implique la production d’une certaine subjectivité caractérisée par la servilité, l’extermination et l’abnégation les plus extrêmes. Là où règnent la domination du marché, l’individualisme maximal, la fascination hypnotique du consommateur consommé, la subjectivité économique et l’individu qui se croit libre et se déteste font leur apparition.
L’hégémonie néolibérale traverse une crise. Tant en Amérique Latine qu’au niveau mondial, deux voies peuvent être entrevues : le fascisme, revigoré par l’incrédulité envers la politique laissée par le néolibéralisme, ou une récupération radicale de la démocratie, réinventée dans le sens de la souveraineté, nationale et populaire.
Les récentes élections au Brésil confirment l’avancée de la droite, mais la victoire de Lula montre que le camp populaire a su résister malgré l’impeachment de Dilma, le matraquage juridique et l’emprisonnement subis par son leader. Le pouvoir n’est pas démocratique, puisqu’il est imprégné de pratiques fascistes, mais il n’est pas non plus omnipotent : il a été démontré que la politique joue.
Le fascisme existe et continuera d’exister dans la politique et la société, et les gouvernements populistes qui émergent de cette nouvelle vague devront y faire face. Le populisme offre un moyen de lutter contre le néolibéralisme et le fascisme, une alternative pour lutter pour une vie plus juste et plus égalitaire.