Que peut, chacune et chacun de nous, pour venir en aide à la communauté subsaharienne, plus spécialement à celles et à ceux en situation irrégulière qui se retrouvent aujourd’hui sur le pavé du fait des évictions de logement, arrêts soudains du travail et autres exactions institutionnelles, collectives ou individuelles?
Beaucoup de personnes me posent la question comment aider sans encourir les foudres du prince ? Une seule réponse : La solidarité. La fraternité, la sororité humanitaires.
J’ai appris au cours de ma carrière universitaire que le droit n’est pas seulement un amas de textes, un tas de parchemins au bas desquels l’on a apposé une signature. Il y a quelque chose que l’on appelle les principes généraux du droit. On peut s'en prévaloir devant l'autorité et les lui opposer en l’absence de texte de loi voire, dans certaines hypothèses, contre le texte de loi lui-même (contra-legem).
Le principe de solidarité, de fraternité et de sororité humanitaires relève de cette catégorie.
En Tunisie on pouvait les déduire du préambule de la Constitution du 27 janvier 2014 (§ 5) en rapport avec "l’unité nationale » dont l’article 9 impose la préservation comme « un devoir sacré pour tous les citoyens et citoyennes ». La « fraternité » y est conçue comme un de ses fondements et une de ses composantes de base au même titre que « la citoyenneté, l’entraide et la justice sociale ». Si le concept n’a pas été consacré intrinsèquement, en tant que tel, comme principe général du droit constitutionnel ou comme devise de la République, il n’en a pas moins valeur constitutionnelle du fait de son inscription dans le texte : le préambule étant « partie intégrante » de la constitution selon l’article 145 du texte constitutionnel.
La « fraternité » représente une des métamorphoses substantielles du droit constitutionnel nouveau issu de la Révolution des 17 décembre 2010 - 14 janvier 2011. Le concept n’a en effet ni synonyme, ni équivalent dans la Constitution du 1er juin 1959 quoique y est proclamée «la volonté du peuple de consolider l’unité nationale (Préambule) et celle de l’Etat et de la société d’œuvrer à « ancrer les valeurs de solidarité, d’entraide et de tolérance entre les individus, les groupes et les générations » (article 5, §4).
Evidemment ce référentiel humaniste et ces valeurs éthiques et philosophiques font cruellement défaut à la constitution octroyée du 25 juillet 2022 issue de l’état d’exception. Constitution du pouvoir d’un seul, elle est sémantiquement faible.
A titre comparatif. Le principe de fraternité, devise de la République française, a été érigé en principe constitutionnel.
Le juge constitutionnel a admis qu’il « découle du principe de fraternité la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national… Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre le principe de fraternité et la sauvegarde de l’ordre public. Dès lors, en réprimant toute aide apportée à la circulation de l’étranger en situation irrégulière, y compris si elle constitue l’accessoire de l’aide au séjour de l’étranger et si elle est motivée par un but humanitaire, le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. Par conséquent, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs à l’encontre de ces dispositions, les mots « au séjour irrégulier » figurant au premier alinéa de l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, doivent être déclarés contraires à la Constitution. »
(C.C.Décision n° 2018-717/718. QPC du 6 juillet 2018).