Avant même qu’une quelconque accusation ne soit notifiée contre Ihsan El Kadi pour justifier son arrestation, une campagne médiatique à grande échelle a été lancée contre lui mobilisant l’argument d’un financement européen de Radio M.
La même campagne médiatique avait usé du même argument du financement étranger pour tenter de diaboliser, en plein Hirak, les associations SOS Bab El Oued et RAJ. Au final, c’est sur d’autres motifs, où ce financement n’a pas du tout été invoqué et ne pouvait être invoqué, qu’elles ont été condamnées. L’argument du financement étranger était destiné uniquement à les décrédibiliser auprès de l’opinion.
Cet argument ne pouvait d’abord être invoqué devant la justice ne serait-ce que parce qu’il y’a des centaines d’associations qui ont bénéficié et continuent à bénéficier de financements étrangers, y compris européens et particulièrement français. Dans leur écrasante majorité, il s’agit d’associations et de « personnalités de la société civile » proches du régime et lui servant de relais. Je ne parle pas d’institutions étatiques algériennes mais bien d’associations se réclamant de la société civile, déclarées non gouvernementales et opérant dans le domaine de la culture, du social et des médias et dont nous donnerons quelques détails dans la suite du texte.
Ces associations répondent légalement à des appels à projets publics que l’UE lance régulièrement à l’intention des ONG et sociétés civiles, notamment dans des domaines comme l’information et la communication, la culture, les femmes et les droits de l’homme.
Les ONG algériennes se trouvent favorisées par le fait que l’Algérie est liée à l’UE par un accord d’association que l’Algérie a souhaité et pour lequel elle a déployé sa diplomatie et dont elle a accepté les termes notamment celui de la consolidation des sociétés civiles et celui de l’article 2 qui stipule « Le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’homme »
C’est dans ce contexte que les ONG algériennes, pour leur grande majorité proche du régime, répondent légalement aux appels à projets de l’UE. Comme elles, Radio M a répondu à un appel à projet, comme l’a fait et obtenu une autre radio « Jil FM » à ce même appel à projet. Radio M n’a pas bénéficié de financement discrétionnaire et encore moins opaque de l’UE et celle-ci ne s’est pas adressée à Radio M. C’est Radio M qui s’est portée candidate à un appel à projet public et transparent de l’UE, comme l’ont fait et le font toujours d’autres médias publiques et privés algériens et comme le font d’autres associations dont un grand nombre proche du pouvoir algérien et qui se trouvent être celles qui ont obtenu les financements européens les plus importants.
La réponse à projet de Radio M de 2014 était publique, connue et affichée explicitement sur internet, accessible à Tous. Aucune autorité n’y a trouvé à redire pendant des années. Lorsqu’avec le Hirak Radio M était devenue gênante, les autorités, dont l’ex-ministre Belhimer, y ont parfois fait allusion mais sans jamais y donner suite la laissant seulement planer comme une menace.
Au même moment, des centaines d’associations ont bénéficié (et les mêmes continuent à bénéficier) de financements étrangers, y compris européens et particulièrement français. Parmi elles, un grand nombre de celles qui constituent aujourd’hui les « assises de la société civile » dont la présidence cherche à en faire sa base politique. Des livres, des films, des albums de chanteurs, des festivals de cinéma, de musique sont largement financés par l’UE et la France. C’est le cas aussi non seulement de la presse privée mais aussi publique qui profite des mêmes programmes. Programmes qui, comme pour Radio M, consistent en dotations matériels et stages techniques de remise à niveau.
Il en est ainsi depuis des décennies, au vu, au su et avec l’approbation de l’Etat. En Algérie comme dans tout notre voisinage proche ou lointain.
Par ailleurs en Algérie ces financements profitent plus aux ONG et « personnalités de la société civile » du régime.
Et ce sont ceux qui en ont le plus profité qui se croient aujourd’hui obligés de les dénoncer.
C’est dans les associations constitutives des « assises de la société civile » promue par le régime que l’on retrouve les associations qui ont reçu le plus de subventions européennes et de la part des ambassades européennes en Algérie dont la française. C’est le cas de l’association dont le président, Abderrahmane Arar, a été la cheville ouvrière de ces assises devant servir de relai au régime.
Elle est en réseau avec des associations considérées aujourd’hui comme sulfureuses et interdites d’accès en Algérie alors que c’est pour cette même raison que son président a failli être désigné par l’Etat-major comme candidat à la présidentielle du 12/12 uniquement pour crédibiliser ces élections auprès de l’opinion européenne. Il est aujourd’hui le quasi-porte- parole de ces assises et il a toute la presse publique à son service pour chanter les louanges de Tebboune.
Par ailleurs, il suffit d’aller jeter un coup d’œil sur le site de l’ambassade en Algérie du plus important pays européens et sur celui de l’une de ses fondations pour retrouver le financement européen comme acteur associatif de Ammar Belhimer avec le financement d’une étude sur le mouvement associatif et politique en Algérie et une réunion associative à Alger et dans une ville européenne, financée par la même ambassade. Il suffit de taper son nom et le titre « Le pluralisme politique, syndical et associatif » pour retrouver ces informations sur le site de cette fondation. Je n’y peux rien de devoir encore citer Belhimer mais c’est le premier à avoir porté l’accusation de financement étranger contre Radio M et on le retrouve paradoxalement toujours dès qu’il s’agit de financement étranger
Salim Aggar le directeur de la chaîne ALG24, se croit obligé de pourfendre Radio M et les associations qui ont reçu de l’argent européen. Il oublie toutes les subventions qu’il a reçu de l’Europe et, comme le rappelait un post de Farid Alilet, également de l’ambassade de France pour organiser son festival de cinéma pendant des années et même pour réaliser des films.
Justement, allons plus loin dans cette hypocrisie du haro sur les financements européens. Autant sensible que la presse et même plus, le cinéma algérien qui s’est vu doté d’un ministère et d’un conseiller auprès du président, est toujours dans le marasme. S’il continue pourtant à exister, c’est aussi grâce à ces financements. Il suffit de rappeler que le seul film qui a représenté cette année l’Algérie aux oscars et qui la représentera au festival de Cannes ( « Frangins » de Bouchareb), a été financé aux deux tiers par la seule France et le reste par l’Europe.
Il suffit de jeter un œil sur le site du CNC, qui n’est pas le seul organe de financement et de la seule France , pour constater le grand nombre de films algériens financés. L’ambassade de France et d’autres pays européens et non européens en font autant. Et que seraient beaucoup de jeunes cinéastes sans ces financements qui les ont lancés ? Nombre de stages de formations pour les techniciens et praticiens de cinéma ( comme pour l’officielle télévision) sont financés par l'ambassade de France à Alger.
L’UGTA qui est, du moins officiellement, une organisation de la société civile, a également bénéficié de nombreux financements européens, très importants, au moins en centaines de milliers d’euros, notamment pour la formation et elle en affiche même les logos sur ses locaux dédiés à la formation. C’est avec cet argent aussi qu’elle paie les formateurs qu’elle sollicite. Il en est de même pour l’UNFA et ses différentes excroissances associatives.
L’Algérie reçoit des bourses d’études universitaires de nombreux pays européens et de l’UE. Celle-ci, à la demande et sous la pression des universitaires européens, a créé un Erasmus spécial Maghreb appelé Averroes. Or, toutes ces bourses sont distribuées, dans l’opacité, aux enfants de la nomenklatura qui ne crache pas sur cet argent européen. Au contraire, celui-ci donne lieu en son sein à des empoignades. On sait tous qui vient avec ces bourses en France. Aux enfants du peuple méritants, on leur offre des Omra à la Mecque. L’institution universitaire n’a jamais été impliquée dans les procédures d’attribution qui supposent un appel à candidatures, une réception de dépôt de candidatures et des conseils scientifiques pour départager les candidatures, le tout consigné normalement dans des PV. Il n’y en a jamais eu.
La justice bénéficie d’un programme de l’UE de 10 millions d’euros pour la formation dont une partie se fait à Aix en Provence. Une formation où non seulement sont enseignés les Droits de l’Homme mais où interviennent des praticiens des associations de défense des Droits de l’Homme qui sont celles- là même dont on interdit l’entrée en Algérie et dont les militants algériens sont emprisonnés ou contraints à l’exil. Et on apprend aujourd’hui 21 janvier à l’occasion de la visite d’une responsable du département d’Etat américain pour les relations avec les ONG qui souhaitait rencontrer la LADDH que celle-ci a été dissoute en catimini sans qu’il y ait aucune publicité à ce sujet, la LADDH elle-même l’ignorait ! C’est un ancien haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur, devenu avocat, Mourad Amiri, qui vient de publier ce jour le jugement sur sa page Facebook comme pour tenter d’attester auprès des américains la régularité d’une dissolution. La justice se dit maintenant dans l’informalité…..
Ce sont ces mêmes stages offerts par l’Europe qui servent de carotte pour rallier des juges aux pratiques de déni de justice. Des stages qui donnent lieu à des guerres effrénées et honteuses au sein de la magistrature pour en bénéficier. Il y est question de devises et de séjours en France.
On peut continuer à égrener sans limite les exemples.
Je me suis limité au seul domaine associatif. Mais l’Algérie reçoit plusieurs centaines de millions d’euros de l’Europe au titre de l’aide humanitaire et de l’aide au développement. Elle est la bienvenue car elle est largement rackettée par la corruption. Il suffit de rappeler que Ould Abbes est en prison pour détournement d’aide humanitaire internationale et Saïdani s’est fait la malle au Maroc avec une partie de l’aide européenne au secteur agricole. Si ces deux « grands patriotes » qui nous ont fait la leçon pendant des années ont été poursuivis, ce n’est pas parce qu’ils sont corrompus, et ils sont corrompus, c’est uniquement parce qu’il faut détruire les réseaux de Bouteflika dont ils faisaient partie. Ils ne sont qu’une infime partie de la partie visible de l’Iceberg
Il faut aussi rappeler que les financements étrangers ne se réduisent pas à ceux européens. Il y’a les très importants financements qataris, saoudiens et turcs qui s’adressent également aux ONG algériennes activant dans le domaine social et culturel et les médias en plus des très influentes associations religieuses et réseaux de « librairies islamiques » qui façonnent, de fait, la politique culturelle et religieuse de l’Algérie. Et il y’a bien sûr les financements russes et chinois également dirigés vers les ONG. Sont-ils moins étrangers ?
Mais l’entretien de la fausse polémique autour du financement étranger vise surtout à occulter la question essentielle celle de l’usage illégal par le régime lui-même du financement
1- D’une part, le régime a interdit de fait tout financement national autonome de la presse.
En dépit d’une expertise judiciaire qui le disculpe de toute infraction, Nabil Mellah a été condamné à 4 ans de prison parce qu’il était un des principaux sponsors de Radio M dont il fallait tarir les sources. Le régime a choisi de mettre en péril une des expériences industrielles les plus prometteuses ( avec une production de substitution à l’importation, mille salariés etc…) pour se donner les moyens de réprimer et d’étouffer Radio M.
Issad Rabrab a été contraint de « suicider » le journal « Liberté », sous la menace, déjà éprouvée, de nuire à ses intérêts économiques.
Le régime interdit donc, de fait, tout financement privé national autonome.
2- D’autre part, il a institué un monopole sur la publicité, l’autre source de financement importante de la presse. Au travers de l’ANEP qui en a le monopole, il la distribue non pas en fonction de l’audience du média mais de son allégeance et dans une totale opacité. C’est ainsi qu’El Watan en a été privé pendant 6 ans, sans aucune explication, poussé à l’asphyxie et la faillite et ses comptes bloqués. Et c’est dans la même opacité qu’il s’est vu, depuis plus d’un mois, attribuer de nouveau de la publicité. Le ton du journal, en conflit par ailleurs avec ses journalistes, en est devenu plus conciliant avec le régime
C’est-à-dire que celui-ci ne laisse aucun autre choix. Soit on lui fait allégeance, soit on est mis à mort par la guillotine financière.
C’est dans ce contexte de domestication de la presse et après avoir tenté de l’intimider, en vain, avec plusieurs arrestations et poursuites judiciaires, qu’intervient l’arrestation de Kadi El Ihsan. Le reste n’est que prétexte.
Et le tout se résume à cette volonté d’isoler les Algériens pour pouvoir mieux les enfermer.