Je veux bien expliquer plus si quelque chose n’est pas claire, je sais que c’est technique, vous ne regretterez pas les quelques minutes de lecture que vous ne trouverez pas ailleurs dans les médias locaux, n’hésitez pas à réagir :
- L’économie tournait déjà au ralenti avant le choc du Covid, en période d’ajustement comme le vivent toutes les économies en phase de correction de déséquilibres macroéconomiques importants, ici existe un niveau d’épargne nationale très faible par rapport aux besoins d’investissement (7% d’épargne nationale par rapport à 20% de besoins d’investissement en % du PIB en 2018) et donc un déficit de la balance commerciale très important, dont découle le besoin de chercher le financement de l’investissement de l’étranger en devise étrangère, entraînant un cycle de dévaluation et inflation importée.
La Banque Centrale a déclenché le mouvement de correction en relevant les taux jusqu’à 7.75%, l’investissement baisse en conséquence et l’épargne augmente réduisant les importations extérieures, stabilisant le dinar, et en conséquence produisant un frein clair à l’activité économique (à la fois consommation et investissement).
- L’inflation était sur une trajectoire claire et ferme de baisse. L’indice des prix à la production qui est un indicateur avancé de l’inflation a baissé de 8.8% à la fin 2018 à 3.9% fin 2019 (source INS), presque 5 points de baisse en une année, énorme ! L’indice des prix d’inflation familiale a baissé de 7.5% à la fin 2018 à 5.7% en Février 2020, une baisse claire, les amplitudes de variation de cet indice sont plus basses étant donné que plusieurs composants importants ont des prix administrés.
- Les indicateurs monétaires de crédit reflètent la même photo, les encours de crédit de leasing ont entamé une baisse depuis mi 2018 et continuent leur décrue à un rythme plutôt élevé, preuve que l’investissement contribuait déjà négativement à la croissance.
Quant aux crédits bancaires, les encours de crédit des banques privées ont baissé en 2019 (source états financiers des banques), les encours globaux ont progressé de 3% en 2019 (STB, BNA et BH, ont presque seulement augmenté leurs crédits à des rythmes soutenus), c’est la preuve que la demande de crédit était inexistante vu le niveau élevé des taux. Donc toute l’augmentation monétaire a juste financé les pertes des entreprises publiques via les banques publiques (un schéma qui va exploser un jour), l’ajout monétaire a financé des pertes et non pas des investissements utiles à l’économie.
- Avec une situation pareille d’un point de vue monétaire et financier, l’inflation devrait continuer à baisser sous 3% rapidement, c’est pour cela que j’ai dit que la BCT a bien fait de déclencher le mouvement d’ajustement en 2018 et début 2019 mais ils sont déjà en retard et les taux auraient dû baisser beaucoup plus, 100 points de base ce n’est rien quand l’investissement est en baisse et l’indice d’inflation à la production a chuté de 5% en une année.
- Mais, l’inflation a entamé un mouvement de hausse en Mars et Avril 2020, je viens d’enquêter sur le détail, c’est lié exclusivement aux produits alimentaires, le prix des légumes, fruits, poissons, ont augmenté de 5% en deux mois, ceux de la viande de 2%, ces hausses s’expliquent essentiellement par des problèmes de circuit de distribution et stockage temporaire en période de confinement.
Si on enlève les produits alimentaires et le tabac qui constituent 30% de l’indice, le rythme de baisse des autres composants s’est accentué en période de confinement (transport, loisirs, restaurants et hôtels, etc.). Les prix alimentaires réagissent peu à la politique monétaire, si la BCT justifie la pause de la baisse des taux par le mouvement d’inflation des deux derniers mois, ils se trompent clairement et l’inflation va repartir à la baisse rapidement à un rythme plus élevé qu’avant.
- Vu que l’investissement sera en baisse de toutes façons cette année, il faut baisser les taux encore plus, pour éviter une dépression.
- La grande question est côté bancaire, peuvent-elles résister à une baisse importante des taux et donc de leurs résultats et encaisser en même temps les pertes sur les crédits à cause de la récession ?
Un plan de recapitalisation du secteur est nécessaire. Les sociétés de leasing vivaient déjà en 2019 un problème de rentabilité important (baisse des encours et hausse des impayés), ça sera le tour des banques de subir la crise cette année, ma seule explication de la résistance de la BCT à baisser les taux est de pouvoir doper la rentabilité des banques pour qu’elles résistent mieux face à la hausse des impayés de crédit et éviter une crise bancaire.
- La baisse du taux l’épargne nationale depuis 2011 est expliquée essentiellement par le déficit du budget de l’état (dépense plus que ce qu’il gagne en taxe etc.) et les pertes énormes des entreprises publiques par rapport à avant 2011 (le chiffre d’affaires (revenues) est inférieur aux coûts (dépenses), leur taux d’épargne est négatif), sans correction de ces deux postes importants et de leurs déséquilibres surtout les entreprises et caisses publiques, le pays ne pourra pas redresser son taux d’épargne à la hauteur du besoin d’investissement de l’économie et donc réduire le déficit structurel de la balance commerciale et stabiliser le taux de change.
Même des taux d’intérêt très élevés ne combleront pas ce manque d’épargne ou production publique sans vraies réformes. C’est pour moi la clé du redressement du pays (penser ici à la CNRPS, la CNSS, au secteurs de transport (Tunisair, CTN, Transtu, SNCFT,...) des mines (CPG), de l’énergie (STEG, STIR), des cimenteries, du groupe chimique, etc...) où les pertes cumulées des entreprises publiques se chiffrent en 5% du PIB annuellement en estimation basse, c’est le trou noir de l’économie du pays et les chiffres ne sont pas publics, aucune transparence... au moins baisser les taux leur permettra de réduire leurs charges financières et donc améliorer leur situation financière et capacité d’investissement/épargne.