Le Kurdistan, et le problème territorial qui y est lié, s’installe durablement dans le paysage géopolitique du Moyen-Orient. Entre jeux d’alliance et intérêts contradictoires, il pourrait devenir l’enjeu des 10 prochaines années.
Mon collègue Alain, dont je salue la création du blog Géopole, m’a fait part d’un document intéressant montrant les relations entre les différents groupes kurdes.
Outre les assyriens et les Yazidis, on y voit toute la complexité entre les différentes régions du Kurdistan, partagé entre Syrie, Iran, Irak et Turquie. Entre entités politiques et groupes terroristes, il y a beaucoup de variantes et autant d’orientations politiques qui ont momentanément fait front contre un seul ennemi : l’EI. Mais demain, lorsque l’EI aura vu son influence diminuer, qu’en sera-t-il ? Que deviendront les soutiens russes et occidentaux ? Quelle sera la position iranienne face aux revendications kurdes? L’Irak déjà disloqué acceptera-t-il une sécession ? Autant de questions sans réponses aujourd’hui.
Pour le Français, le Kurdistan apparaît plutôt comme une sorte de Palestine bis surtout vis-à-vis de la domination turque, qui bombarde des populations civiles. Mais comme déjà dit ici autrefois, on pourrait plus le rapprocher du pays basque dans sa dimension culturelle et le fait que la population est divisée entre plusieurs pays. En effet, les attentats récents en Turquie, comme celui du 19 février 2016 avec 28 morts, ont été revendiqués par des groupes terroristes. Ce n’est pas une manipulation du gouvernement turc, qui n’en est parfois pas avare, que de mettre les récents attentats sur le dos d’une population diversement représentée. Toutefois, il faut aussi faire le tri avec les attentats revendiqués par l’EI et trop vite attribués au PKK (qui ne verse pas dans l’attentat suicide). Face à cela, la réponse par la force et les bombardements a une dimension excessive et surtout contre-productive à terme, poussant les modérés à se radicaliser. C’est ce qui me fait dire que le Kurdistan pourrait être un foyer plus durable.
Il faut noter que dans la lutte contre l’EI, les combattants kurdes ont été les bras armés sur terre de l’offensive russo-occidentale. Ils ont perdus beaucoup d’hommes et de femmes et attendront en retour que les promesses soient tenues.
Quelles sont ces promesses? Pour certains kurdes syriens, c’est d’avoir plus d’autonomie dans une future Syrie, tandis que d’autres ne veulent que l’indépendance pure et simple, voire la réunification avec les autres territoires du grand Kurdistan. Et si la Turquie a agi contre la Syrie, c’est aussi parce que ce pays était un soutien au PKK qui permettait une certaine unité dans la partie nord. Après la trahison de l’arrestation d’ Abdullah Öcalan, leader du PKK, les kurdes syriens se sont divisés en deux branches : Une pro Assad, une pro rebelles.
Aujourd’hui, ces deux voies subsistent. Mais la Russie joue aussi ses cartes dans ce jeu qui vise à rétablir son influence dans cette zone. En s’alliant aux Kurdes, elle affaiblit la Turquie. Mais elle se heurte à la méfiance de Bachar El Assad qui est contre la partition de son pays et le fait de donner plus d’autonomie aux kurdes. Ainsi que le rappelle Lina Kennouche, « Il n’est donc pas exagéré de penser que la promesse russe faite aux Kurdes puisse être révisée en fonction de l’évolution de la position turque sur le conflit en Syrie et de la redéfinition des priorités politiques de Moscou dans la phase des négociations ».
La promesse faite à la Turquie d’une entrée facilitée dans l’Europe pour gérer la crise des migrants, peut paraître risible. Pourtant elle s’inscrit aussi dans un front de plus en plus clair entre la Russie à l’Est et l’Europe, dont on a vu l’expression en Ukraine ou en Pologne. Et un nouveau front pourrait s’ouvrir dans le Kurdistan, selon le niveau de promesses de chacun. A moins que les Kurdes ne soient trahis une nouvelle fois ?