Et si le remède était pire que le mal ? C’est la question qui devrait entourer l’interdiction dans quelques villes du port du Burkini.
Il faut rappeler d’abord ce qu’est le burkini : Il s’agit d’un vêtement couvrant les bras, les jambes et le corps, ainsi que les cheveux, destiné notamment aux femmes musulmanes désirant se baigner. Mais sur ce principe, une combinaison de plongée avec un bonnet de bain est aussi acceptable. Le Burkini allie à cela une esthétique, puisque l’on peut sortir du noir néoprène pour afficher des couleurs aussi affriolantes que les maillots dits classiques.
Mais il faut aussi revenir dans l’histoire du tourisme balnéaire. En effet, au sortir du 19ème siècle, lorsque l’Europe découvrit le plaisir du bain et que les premières stations balnéaires furent construites, les femmes ne se dévêtissaient que très peu. Même les hommes revêtaient une sorte de combinaison s’arrêtant aux genoux et aux avant-bras. Le bronzage n’était pas du tout bien vu, et la pâleur de la peau permettait encore de distinguer l’aristocrate du paysan.
Peu à peu, avec la démocratisation de ce tourisme, la liberté sexuelle, les tenues se sont faites plus légères, plus adaptées à la nage alors qu’avant on se contentait de tremper les jambes dans l’eau. Et cela jusqu’au nudisme et aux seins nus, bien que cette particularité reste encore cantonnée à bien peu de pays. Rappelons au passage qu’il y a 40 ans, on condamnait les femmes seins nus à la plage et qu’à New York, les mouvements féministes ont fait accepter il y a peu le fait d’être seins nus. Dans les années 90, on a également vu des stations balnéaires faire interdire le fait qu’un homme soit torse nu hors de la plage. Et aujourd’hui, on a des réseaux sociaux américains qui ne tolèrent pas la publication d’une photo avec un téton féminin à l’air.
En Chine, encore pire que le Burkini, le Facekini
On voit que dans notre société occidentale, le corps, surtout celui de la femme, reste un problème conflictuel. Il est par ailleurs largement marchandisé, mis en avant dans des publicités, de manière disproportionnée entre les sexes. Dans d’autres sociétés développées, la vision est différente. Ainsi en Chine ne voit-on pas d’un bon œil le bronzage et on a vu la mode du « Facekini », encore pire qu’une burqua.
La religion n’a rien à voir là dedans mais il serait étonnant qu’on ne voit pas quelques touristes chinois débarquer ainsi sur nos plages du sud. Mais en France, profitant de la paranoïa ambiante, on a eu d’un coté des individus jouant plus la provocation que l’apaisement en voulant privatiser des plages/piscines et en instrumentalisant cette tenue (on peut se méfier autant du CCIF que du CRIF aujourd’hui) et de l’autre des mouvements politiques voulant faire du clientélisme sur leur aile droite en réclamant l’interdiction de cette tenue, qui légalement n’a rien de répréhensible. En effet, le visage est bien découvert et on devrait pouvoir profiter de la plage en n’importe quelle tenue décente, quelque soit sa confession.
Dans le sens où une femme est libre de disposer de son corps, de quel droit vient-on lui imposer de se dénuder à la plage, au mépris de la santé publique d’ailleurs. Si une femme ne désire pas s’exposer, pour des raisons diverses (timidité, maladie, confort personnel…), et qu’elle porte un vêtement intégral pour se baigner, différent du burkini médiatisé, va-t-on lui faire payer une amende de 38 euros? N’y-a-t-il pas plus important à faire que de créer des réglementations temporaires surfant sur des rumeurs et la haine ambiante.
Pour le cas de la Corse, il semblerait que tout parte de moqueries ou de prises de photos ne respectant pas le droit de l’autre (EDIT : Et d’une volonté de « privatisation » de la plage, sans qu’il n’y ait de Burkini pour autant, comme quoi les rumeurs….). L’enquête le dira peut-être mais la réponse n’apportera plus grand chose au fond du problème. Il faudrait commencer par éduquer sur ce sujet. Il ne me vient pas à l’esprit de me moquer ou de parler de la tenue d’une personne à la plage(ou ailleurs), ou même de son aspect physique et encore moins de « mater » comme cela est le cas chez certains mâles à la plage. Mais cela semble une exception dans notre société où le paraître a trop de place.
Il faut se souvenir que beaucoup font encore l’amalgame entre le turban des Sikhs et les musulmans, par méconnaissance. Alors on imagine sur le Burkini. Il faut aussi se souvenir que dans certaines de nos régions, des femmes continuent à porter des coiffes traditionnelles, par goût, ou pour préserver des traditions. En viendra-t-on un jour à faire une sélection sur ce que l’on peut porter jusqu’à interdire aux religieuses catholiques ou aux juifs haredims de tremper les pieds dans la mer.
Déjà dans les bureaux des grandes sociétés, les tenues décontractées ou en dehors des couleurs « traditionnelles » sont mal vues, même lorsqu’elles sont tout à fait élégantes. C’est bien en France qu’on siffla une ministre parce qu’elle portait une robe! Il faut aussi regarder nos archaïsmes avant d’aller en chercher ailleurs.
Il est désespérant de voir aujourd’hui des mesures aussi discriminatoires dans des municipalités de tous bords. Au lieu de faire quelque chose pour le « vivre ensemble », elles montrent du doigt des communautés, elles attisent les haines et divisent sur des sujets d’un autre âge et confortent les extrêmes de chaque camp dans leur position. Oui, il y a quelque chose de pourri au royaume de France. Et j’ai bien peur que ce ne soit encore qu’un début.
Extrémistes et fascistes se nourrissent les uns les autres, ne l’oublions pas.